La preuve incombe à l’accusation

Affaire Ministère Public et Dontcho c/ D. Momo

Le tribunal de première instance de Yaoundé, centre administratif, vient de déclarer, ce lundi 21 janvier 2013, le sieur D. Momo non coupable et a ordonné sa relaxe alors qu’il était incarcéré à la prison centrale de Nkondengui pour vol d’une boîte à outil d’une valeur de 120.000 F.cfa.

Au terme du procès et après avoir entendu toutes les parties selon le principe du contradictoire, le président du tribunal de première instance de Yaoundé centre administratif a déclaré M. D. Momo non coupable pour vol avec effraction sur la base des articles 74 et 320 du code pénal et a ordonné sa relaxe. La motivation de cette décision étant que l’accusation n’a pas pu produire de témoins ni même apporter de preuve de ses allégations.

Les faits

L’histoire se déroule au quartier Anguissa, à Yaoundé. M. Dontcho, propriétaire d’un garage, s’est vu dérober sa boîte à outil d’une valeur de 120.000 F.cfa dans la nuit du 24 août 2012. Il affirme qu’ « un témoin a vu M. D. Momo sortir de son garage transportant un sac dans lequel sans doute se trouvait l’outil qu’il venait de voler ». Après avoir porté plainte au commissariat du troisième arrondissement, dès le lendemain de la perte de son matériel, le sieur Momo sera interpellé, déferré au parquet puis écroué à la prison centrale de Nkondengui en attente de son procès.

Le déroulement du procès

L’audience du jour, la troisième était  consacrée au jugement. La deuxième audience, qui s’est déroulée le 28 novembre 2012, a été dédiée aux débats. Durant ceux-ci, le prévenu a été appelé à la barre et après déclinaison de son identité puis rappel des faits pour lesquels il est incriminé, il lui a été demandé quel est son mode de défense. Le prévenu a alors décidé de plaider non coupable.Le président du tribunal a ensuite demandé au prévenu s’il entendait faire des déclarations ou non conformément aux formalités de l’article 366 du Code de procédure pénale selon lequel « (1) Si le tribunal estime que des éléments de preuve suffisants sont réunis pour que le prévenu puisse présenter sa défense, il lui offre trois options : a) faire sans serment toute déclaration pour sa défense. b) ne faire aucune déclaration. c) déposer comme témoins sous serment. (2) Le Président informe le prévenu que s’il choisit de ne rien dire ou de faire une déclaration sans serment, il ne lui sera posé aucune question et que s’il décide de déposer sous serment, le ministère public, la partie civile et le tribunal pourront lui poser des questions. (3) Le Président informe en outre le prévenu que les déclarations faites sous serment ont plus de force probante. (4) Le Président demande au prévenu s’il a des témoins à faire entendre ou d’autres éléments de preuve à présenter ». Ayant décidé de faire une déclaration sous serment, il a ainsi étalé sa version des faits. Selon ceux-ci, le prévenu connait la victime vu qu’il est l’un de ses clients. Le jour du forfait, il est rentré chez lui à 22 heures avec son épouse comme à son habitude et n’en est plus ressorti ; en plus, il ne transportait aucun sac. Après avoir relaté sa version des faits, la victime du vol et partie civile à l’affaire a été amenée à comparaître comme telle.

Appelée à la barre, la victime, M. Dontcho, a relevé que son accusation à l’endroit du prévenu se base sur deux faits : le premier est qu’en dehors de sa boutique, le prévenu « fait aussi dans la ferraille ». Selon lui, il ne fait aucun doute, et c’est le deuxième fait,que le sieur D. Momo est celui qui a volé son matériel, vu qu’une personne l’a aperçu avec un sac en main. Une fois présentées ses allégations par la victime, le tribunal a appelé les différents témoins, commençant par le témoin de la victime, mais celui-ci a fait comprendre que son témoin n’était pas encore dans la salle d’audience. Le président du tribunal a estimé devoir appeler en premier le témoin du prévenu.

L’avocat du prévenu a ainsi fait appel à dame Massadio, qui est l’épouse et en même temps, l’aide dans la gestion de sa boutique. Nous avons appris, du récit de celle-ci, que la boutique du prévenu et le garage de la victime sont distants d’environ 50 mètres. Selon ses dires, la nuit du 24 Août 2012, elle et son mari ont fermé la boutique à 23h comme à leur habitude et ont emprunté une moto pour rentrer chez eux. N’ayant reçu aucune question du ministère public en cross examination, la dame a été appelée à rejoindre la salle d’audience.

Le juge a ensuite demandé au sieur Dontcho s’il avait un témoin. Devant la réponse négative de celui-ci, elle lui a demandé comment il espérait prouver ses allégations sans témoin ni aucune autre preuve fournie, avant de décider, avec l’approbation du ministère public, d’entendre les réquisitions.

Les réquisitions

Le premier à faire ses réquisitions était le ministère public. Ce dernier a alors avancé que l’accusation n’a pas pu conforter les déclarations de la victime. Il a ainsi demandé la relaxe pure et simple du prévenu.

Quant à l’avocat du prévenu, il a relevé que le dossier est vide. Pour lui, le témoin que la victime veut faire comparaître, qui jusque là est imaginaire, aurait aperçu le prévenu en train d’emprunter le taxi nanti d’un gros sac. « Peut-on alors conclure à la culpabilité du prévenu ? ». A son avis, le doute profite à l’accusé et dans le cas d’espèce, il y a plus que le doute, il n’y a même pas de preuve. Sur cette base donc, i a demandé que le tribunal déclare le prévenu non coupable pour fait non établi. Le tribunal s’est donc appuyé sur ces éléments concordants dans les différentes réquisitions pour prendre sa décision. Cette décision qui soulève un problème en matière pénale, celui de la preuve dans le procès pénal.

Le problème juridique

Le problème juridique majeur que nous entendons développer ici est celui de la preuve dans le procès pénal. La preuve est faite par tous moyens (témoins, preuves matérielles (matériel à travers lequel  l’infraction a été commise), faits lorsqu’ils ne sont pas contestés, ADN dans les pays plus développés..). L’article 308 (b) prévoit en ce sens que « Hormis les cas où la loi en dispose autrement, une infraction peut être établie par tout autre mode de preuve ».

Même si l’accusé doit aussi user des preuves pour se disculper, la preuve dans le procès pénal incombe avant tout à l’accusation au nom du sacro saint principe de la présomption d’innocence.  Le code de procédure pénale va d’ailleurs plus loin. En effet, on peut lire à l’article 307 de ce texte que « la charge de la preuve incombe à la partie qui a mis en mouvement l’action publique ». Ceci voudrait par exemple signifier qu’en cas d’appel, à l’issue d’une condamnation en instance dans un procès pénal, le prévenu ou l’accusé qui fait appel dit fournir tous les moyens de preuve pour être disculpé. Il importe toutefois de noter, au terme de l’article, que, « (1) le juge décide d’après la loi et son intime conviction. (2) Sa décision ne doit être influencée, ni par la rumeur publique, ni par la connaissance personnelle qu’il aurait des faits, objet de la poursuite. (3) Elle ne peut être fondée que sur des preuves administrées au cours des débats ».

Le recours à des témoins comme preuve de la commission ou de la non commission d’une infraction n’est pas nouveau en droit pénal camerounais. D’ailleurs, le Code de Procédure pénale a organisé la comparution des témoins en instance. Sans vouloir revenir de fond en comble sur les articles de ce texte, nous pouvons cependant retenir l’article 335 selon lequel « Pour être admis, le témoignage doit être direct. Est direct, le témoignage qui émane : (a) de celui qui a vu le fait, s’il s’agit d’un fait qui pouvait être vu ; (b) de celui qui l’a entendu, s’il s’agit d’un fait qui pouvait être entendu ; (c) de celui qui l’a perçu par tout autre sens ; (d) de son auteur s’il s’agit d’une opinion. Toutefois, en cas d’assassinat, de meurtre ou de coups mortels, la déclaration verbale ou écrite de la victime relative à son décès est admise en témoignage ».

Dans le cas d’espèce, la victime n’a pas pu faire comparaître son témoin, absence que l’avocat du prévenu a décrié en relevant qu’il s’agissait d’un témoin imaginaire vu qu’il ne s’est pas présenté à l’audience. Dans la même lancée, M. Dontcho n’a pas pu fournir d’autres preuves pouvant amener le tribunal à condamner le prévenu. Ce dernier par contre a fait comparaître un témoin, ce qui a fait peser une situation qui en l’état, était déjà à son avantage au vu du principe selon lequel le doute profite à l’accusé ou au prévenu.

Ceci dit donc, il ne suffit pas de la survenance d’une infraction pour accuser un individu et croire que le tribunal va automatiquement le condamner. Il faudrait encore prouver ses allégations par des arguments logiques, des preuves matérielles irréfutables et des témoins crédibles, éléments sans lesquels un prévenu ou accusé qui a réellement commis des faits se retrouvera tout de même en liberté.

Ranèce Jovial Ndjeudja P.

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