Quand la juge a tranché, il a tranché

Affaire Ministère Public, Mr. Y et Mme X contre W. Didier

 

Le 13 août 2012, le Tribunal de Première Instance, Centre Administratif connaissait, en matière correctionnelle, l’Affaire Ministère Public, Dame X et Sieur Y contre W. Didier pour escroquerie. Ce dernier a plaidé coupable, mais le juge a renvoyé l’affaire au 27 août 2012 pour débat et délibéré au grand désarroi de l’avocat de la défense.

Convaincu d’escroquerie et d’abus de confiance, au cours de l’audience du 13 août dernier, sieur W. Didier, jeune homme mal voyant de 31 ans plaide coupable pour les faits qui lui sont reprochés. En effet, le prévenu dont les parents résident en France promettait l’obtention d’un visa, le paiement de la caution, etc…, pour aider les personnes à « voyager vers l’Europe », aux dires d’un des membres de la partie civile, en échange de la perception de fortes sommes d’argent. La présidente du tribunal a renvoyé cette affaire à l’audience du 27 août 2012 pendant laquelle elle a rendu son jugement.

 

Les faits

Les faits remontent à décembre 2010, lorsque le sieur W. fait croire aux victimes qu’il peut leur faire voyager vers l’Europe. Il demande alors 2.500.000 frs pour réaliser cette opération. Dans le même temps, le sieur W. présente un partenaire au sieur Y, une des parties civiles à l’affaire. Mr W. reçoit alors 2.300.000 frs à titre d’avance de la part de M. Y et 700.000 frs de la part de Mme X pour frais de visa et caution de l’ambassade d’Allemagne. Mais après une tentative à cette ambassade, il y a eu refus de visa. Une deuxième tentative a été faite en Décembre 2011 à l’ambassade d’Italie. Mais là encore, il n’y a pas eu d’obtention de visa.

Les deux victimes, se sentant abusées, portent plainte pour escroquerie. Mr Y porte alors plainte contre Sieur W. Didier en Février 2012 à la Direction de la Police judiciaire.  Mme X  quant à elle le fera à la même Direction de la Police judiciaire le 21 Mars 2012, toujours pour escroquerie pour une autre histoire de voyage concernant sa fille. A la suite de ces plaintes, Mr W. a été placé sous mandat de détention le 20 Mars 2012 et déféré au parquet le 23 Mars.

Il faut  noter que cette infraction est punie dans le Code pénal aux articles 318 et 321. L’article 318 qui porte sur le vol, abus de confiance et l’escroquerie, énonce que « (1) Est puni d’un emprisonnement de 5 à 10 ans et d’une amende de 100.000 à 1000.000 frs, celui qui porte atteinte à la fortune d’autrui : (a) Par vol, c’est-à-dire soustrayant la chose d’autrui ; (b) Par abus de confiance, c’est-à-dire en détournant ou détruisant ou dissipant tout bien susceptible d’être soustrait, et qu’il a reçu, à charge de la conserver, de le rendre, de le représenter ou d’en faire un usage déterminé. Toutefois, le présent paragraphe ne s’applique ni au prêt d’argent, ni au prêt de consommation ; (c) Par l’escroquerie, c’est-à-dire en déterminant fallacieusement la victime soit par des manœuvres, soit en affirmant ou dissimulant un fait.

Mr W., qui ne conteste pas les faits qui lui sont reprochés, en conteste plutôt les montants. Pour lui, il n’a reçu que « la somme de 300.000 frs pour frais de visas de la part de Mr Y, puis 700.000 frs dans un deuxième versement pour caution de la part de Dame X »,  selon ses propres déclarations devant le tribunal.

Pour l’une des victimes, il était question surtout de négocier afin de rentrer en possession de son argent. En effet, pour Monsieur Y, « Les parents du prévenu, qui est un voisin du quartier, vivent en France et ont la capacité de rembourser les sommes escroquées. Mais ceux-ci sont fatigués de tout le temps venir au secours de leur fils pourtant déjà majeur et qui leur cause beaucoup de problèmes ». Toutefois, le litige est porté devant les juridictions.

Au Tribunal

De l’audience de ce 13 Août 2012, il ressort des différentes explications que le prévenu, le sieur W., incarcéré à la Prison centrale de Nkondengui, ne méconnaît pas les faits qui lui sont reprochés. Cependant, il conteste la somme d’argent qui lui était imputée, ne reconnaissant avoir perçu que les premiers 1.000.000 frs ; les autres 2.000.000 frs ayant été, selon les déclarations du sieur Y, partie civile, remis à l’acolyte du prévenu. Ce dernier qui a d’ailleurs plaidé coupable, demanda à la Présidente du tribunal de le juger ce jour-là même. Devant la volonté de la juge de renvoyer l’affaire, l’avocat du prévenu, Me Francis DJONKO, a relevé qu’il n’était plus nécessaire de renvoyer l’affaire vu que Mr W. avait plaidé coupable. De plus, toutes les parties étaient présentes à l’audience, les parties civiles s’étaient désisté du fait du remboursement par le prévenu de la somme d’argent qu’il reconnait avoir prise, soit 1.000.000 frs de Dame X, Monsieur Y ayant décidé de ne plus réclamer son argent ; et l’acte de leur désistement avait été inséré dans le dossier présenté au juge. Donc, « selon les procédures, le juge devait juste prendre acte du désistement des parties civiles et rendre le jugement », affirme l’avocat. Seulement, le plaidoyer de l’avocat n’a pas convaincu le juge qui a quand même renvoyé l’affaire au 27 Août pour débats.

 

 

Problème juridique :

Cette incompréhension de la décision du juge était également perceptible chez les victimes qui voulaient « voir cette procédure prendre fin ». Ils pensaient que, du fait de leur désistement, et de l’acceptation des faits par le prévenu, ce dernier connaitrait sa sentence séance tenante. Mais la présidente du tribunal en a décidé autrement, au grand désarroi de la Défense..

Interrogé sur la question du renvoi, Me Francis DJONKO a estimé que « la juge a cru percevoir que le prévenu, Mr W., qui ne reconnaissait que 300.000 frs sur les sommes que les victimes auraient pu lui réclamer, devait plaider « non coupable » et non « coupable » comme il l’a fait ; et donc supposer des débats avant toute décision au fond. En effet, plaider coupable suppose que le prévenu a accepté tous les faits qui lui sont reprochés sans aucune contestation. Dans ce cas, c’est la procédure des articles 360 et suivants du Code de Procédure Pénale qui s’applique. Selon l’article 360 précisément, « Si le prévenu plaide coupable, (a) Le tribunal enregistre sa déclaration au plumitif d’audience ; (b) le ministère public expose le faits de la cause, pose la qualification pénale et énonce les dispositions légales applicables ; (c) la partie civile prend la parole pour ses observations sur les faits relatés par le ministère public ; (d) la parole est donnée au prévenu pour faire toute déclaration qu’il désire ; (e) le tribunal se prononce sur sa culpabilité ». Selon l’article 361, « (1) Si le tribunal accepte le choix du prévenu qui a déclaré plaider coupable, il donne la parole à la partie civile ou à son conseil pour formuler sa demande en dommages et intérêts, puis au Ministère public pour produire le casier judiciaire et requérir sur la peine applicable et éventuellement sur les dommages et intérêts. La parole est ensuite donnée au conseil du prévenu, s’il en a un, puis au prévenu pour sa dernière déclaration. (2) Après les réquisitions du ministère public, les plaidoiries et la dernière déclaration du prévenu, le tribunal déclare les débats clos et fait application de l’article 388 ». Ce dernier article renvoie au jugement du tribunal et dispose que « (1) Le jugement est rendu, soit immédiatement, soit dans un délai de quinze (15) jours après la clôture des débats. En cas de mise en délibéré de l’affaire, le président informe les parties de la date à laquelle le jugement sera prononcé. (2) Il peut, s’il le juge utile, rouvrir les débats avant le prononcé de la décision… ».

Or, dans le cas d’espèce, le prévenu a contesté les montants. Le juge aurait donc pu considérer que la procédure à appliquer n’est pas celle liée au plaider coupable que nous venons en partie d’exposer, mais plutôt celle du plaider non coupable, c’est-à-dire, celle prévue par l’article 365 du Code de Procédure Pénale. Selon ce texte, « (1) Si le prévenu plaide non coupable, la juridiction entend les témoins du ministère public et de la partie civile, dans les conditions prévues aux articles 328 et 330. (2) A ce stade, nonobstant les dispositions de l’article 361, le ministère public ne fait état ni du casier judiciaire, ni des renseignements concernant la moralité de l’accusé. (3) Si le tribunal estime, après l’audience des témoins, les réquisitions du ministère public et, éventuellement, les observations de la partie civile, que les faits ne constituent aucune infraction ou que les preuves n’ont pas été rapportées, il prononce la relaxe du prévenu ». Mais, l’article 368 ajoute que « si le prévenu plaide non coupable sur certains chefs d’accusation et coupable sur d’autres, le tribunal doit procéder comme s’il avait plaidé non coupable sur tous les chefs d’accusations ». Au regard de cette dernière disposition textuelle donc, et en tenant compte de la contestation sur les montants de la part du prévenu et malgré que ce dernier ait plaidé coupable, la juge a pu considérer, à la lumière de cet article 368, que, du fait de cette contestation, que le prévenu a plutôt plaidé non coupable.

Le renvoi pour débat auquel a procédé le tribunal pourrait dans ce cas ne pas paraitre comme un problème au vu de ces dispositions textuelles du simple fait de cette contestation sur les montants de l’affaire par le prévenu. Même si la présidente ne pouvait pas renvoyer l’affaire sine die au risque de poursuite judiciaire, tel qu’énoncé à l’article 343 du Code de Procédure Pénale, elle pouvait s’appuyer sur l’article 384 du même texte pour procéder au renvoi qu’elle a prononcé. Selon ce dernier article, « (1) Si les débats ne peuvent être terminés au cours de la même audience, le président ordonne le renvoi et fixe le jour, l’heure où ils seront repris. (2) Les parties et les témoins entendus ou ceux qui ont été invités à rester à la disposition de la juridiction doivent comparaître, sans nouvelle citation, à l’audience de renvoi ».

Cependant, pour l’avocat de la défense, le fait de contester les montants qui lui étaient imputés dans l’infraction « n’avait une incidence que sur les indemnités éventuelles et donc n’avait pas directement trait à l’infraction elle-même. De plus, les dommages et intérêts n’avaient plus lieu d’être d’autant plus que les victimes s’étaient désistées comme parties civiles ». En d’autres termes, même si Me DJONKO ne conteste pas le fait que l’infraction a été commise, le fait que les victimes aient désisté et que leurs actes de désistement apparaît dans le dossier fait en sorte que même la contestation des montants par le prévenu n’aurait dû avoir aucune incidence sur les procédures et n’aurait pas dû remettre en cause le plaidé coupable de son client.

Au final, nous ne pouvons pas critiquer la position de la présidente du tribunal qui, au regard de l’analyse faite plus haut, a appliqué la procédure, en recherchant, par le renvoi, à entendre davantage les parties civiles sur le désistement avant de rendre son jugement.

Le 27 août 2012, lors des débats, la présidente du tribunal a demandé aux victimes, si elles voulaient effectivement désister. Ces dernières ont répondu par l’affirmative. A l’issue de quoi,  elle  a rendu sa sentence dans cette affaire, après avoir pris acte de ce désistement. Mr W. Didier a de ce fait été condamné à 3 mois fermes et à 25 000 f Cfa de dépens ou à 03 mois de contraintes par corps.

Au terme de ce jugement, c’est un sentiment de satisfaction qui a prévalu du côté de la défense vu que le prévenu avait déjà passé plus de 03 mois en prison. Donc, il serait « libéré en vue de permettre une resocialisation au regard de son handicap », affirme Me Francis DJONKO.

 

Ranèce Jovial Ndjeudja Petkeu

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