La dot : la lecture d’un anthropologue

Pr Pierre TITI NWEL, Anthropologue, Président de la Fondation Hélène Ressicaud pour l’Éducation et la Promotion des Personnes Déficientes Auditives (FEPPDA), Membre du Conseil Électoral d'ELECAM

L’Observateur des faits socio-culturels apporte son regard, en observateur et analyste de nos traditions et coutumes, la pratique de la dot en général et au Cameroun en particulier.    

Professeur, la dot est un sujet qui fait couler beaucoup d’encre et de salive. Pouvez-vous nous dire d’emblée ce que c’est du point de vue anthropologique?

Pour commencer, relevons cette pensée de l’anthropologue français Lévi-Strauss qui soutenait que dans toute société, un homme ne reçoit une femme pour épouse que des mains d’un autre homme qui la lui cède sous forme de fille ou de sœur. Cela signifie que l’on ne demande la main d’une femme qu’à un homme, et à un homme qui est lié à cette femme par la prohibition de l’inceste, c’est-à-dire l’interdiction de relations sexuelles entre eux. Ce principe entraîne deux conséquences importantes qu’il y a lieu de comprendre aujourd’hui.

La première est que ce n’est pas parce que cet homme ne doit ni coucher avec ni épouser cette femme que n’importe qui peut la prendre et partir avec. La cérémonie de la « bouteille » que le fiancé dépose sur la table et que la fiancée prend et donne à son père ou frère, est en même temps l’acceptation par la fille, qu’elle voudrait partir avec ce monsieur et la demande par ce dernier de prendre chez lui cette fille. Si le père ou le frère accepte la « bouteille », non seulement il admet le départ de sa fille (ou sœur), mais il donne à son gendre la paternité des enfants qui vont naître de l’union de nouveaux époux. Car le père d’un enfant est le mari de sa mère ; et si celle-ci n’est pas mariée (si personne n’est venu demander sa main), l’enfant a pour père, le père de sa mère. On ne cherche donc pas le père d’un enfant. Il est connu a priori.

La deuxième conséquence est que la femme (fille) doit partir en mariage. Il n’est pas question que son père (frère) refuse ce départ, soit de façon catégorique, soit par des manœuvres diverses (comme aujourd’hui une dot élevée).

Dans les temps reculés, le mariage consistait en un échange de femmes : la famille donneuse de fille recevait aussi une fille de la famille donataire. On comprend ainsi l’importance de la femme par laquelle la famille, le clan, la société naît et grandit. Le mariage par échange de femmes a vite trouvé ses limites venant par exemple des caractères des femmes échangées, de leur force de travail, de la capacité d’avoir des enfants… C’est pourquoi les sociétés ont remplacé l’échange de femmes par des biens permettant à la famille donneuse d’aller trouver une femme ailleurs. C’est l’origine de la dot.

Il y a lieu de noter que la dot n’a pas été au départ une manière d’enrichir un homme ou une famille. Dans chaque famille, chaque garçon avait une sœur qui lui était appariée ; c’es-à-dire que la dot qui venait de cette fille permettait à son frère apparié de se trouver une femme. Du fait que tout homme avait le devoir de marier son garçon, il devait « conserver » d’une façon ou d’une autre les biens reçu du mariage de la fille appariée à ce garçon. Il y a aussi lieu de noter que dans une ethnie, entre clans, la dot était connue ; elle ne dépendait pas du bon vouloir de chaque père de famille.

Toutes les sociétés du Cameroun ont-elles la même perception de la dot ?

La dot au Cameroun est perçue sensiblement de la même façon au sein des peuples qui composent notre pays. Ici on donne des bœufs, là c’est plutôt des chèvres et des moutons qu’on attend. Là encore il y a le mariage sans dot (le mariage « te nkap » dans certains groupes bamiléké), mais la première fille qui naît de ce mariage revient de droit au grand-père maternel qui a le loisir de la marier avec ou sans dot. Mais partout, le mariage s’accompagne d’un échange de biens : la famille qui donne sa fille reçoit la dot, mais elle accompagne sa fille par des biens souvent d’égale valeur à ce qu’elle a reçu. C’est un problème d’honneur.  C’est ce que les anthropologues appellent la « contre-dot ». Si les colons et missionnaires avaient prêté attention à la « contre-dot » ils n’auraient pas taxé nos pères de vendre leurs filles.

La dot est-elle une réalité typiquement  africaine ?

L’anthropologie est différente de la sociologie en ce qu’elle est l’étude des faits sociaux des sociétés anciennement qualifiées de primitives, c’est-à-dire, des sociétés du Sud. Nos sociétés ont développé de façon extraordinaire le principe de la parenté, alors que cette notion est d’une extrême simplicité dans les sociétés du Nord. Par exemple là-bas, les quatre grands-parents d’un individu sont égaux à ses yeux ; ici, le père de mon père et le père de ma mère ont des fonctions différentes à mon endroit. C’est pourquoi chez les Noirs africains, le mariage qui est essentiellement fondé sur la parenté, n’est pas vécu de la même manière que dans les peuples du Nord. Mais chez eux comme chez nous, sauf cas de mauvaise éducation, on demande la main de la fille à son père ou à son frère.

De nos jours, de nombreuses voix se lèvent pour dénoncer un certains nombre d’abus qui caractérisent les montants de la dot dans les sociétés contemporaines. Quels sont ces abus et quelles en sont les causes  et les conséquences?

Les abus sont dus au fait que dans certaines régions de notre pays, les hommes de cinquante ans et plus ont été scolarisés, souvent hors de leurs villages ; et à l’école ils ont appris autre chose que les us et coutumes de leurs pères. Aujourd’hui, ils sont des acteurs de faits de société. Comme ils n’ont pas été imprégnés dans la tradition, et qu’ils n’en ont qu’une vague connaissance, alors ils inventent. Comme ils sont âgés et même vieux, ont croit que ce qu’ils font, c’est la tradition de nos ancêtres. Ils ont certes conservé l’idée et le principe, mais ils n’ont pas appris les procédés. Conséquence, ça va dans tous les sens et les premiers à payer le prix fort ce sont nos enfants qui ont peur de s’engager, faute de moyens. La dot n’est ni la vente de la femme, ni son prix d’achat. En considérant la contre-dot, elle est le symbole de l’entente, de l’amour entre les familles désormais alliées.

Au regard de la diversité culturelle du Cameroun, une harmonisation des montants de la dot ou des types de dot est-elle possible pour juguler ces abus, mieux ne doit-on pas supprimer la dot pour arrêter le massacre?

Notre constitution affirme que nous sommes fiers de notre diversité culturelle. Une harmonisation manu militari en ce domaine, non seulement ne passerait pas, mais serait une catastrophe. Il faut laisser les faits se diffuser de façon autonome. Sur le plan culinaire, par exemple, il y a des mets qui sont camerounais, nationaux. Et cela, sans aucun décret à ce propos. En 1923, l’administration coloniale et l’Eglise catholique du Cameroun se sont entendues pour fixer le prix de la dot à 300 F. Cette intrusion maladroite des autorités civiles et religieuses a eu pour conséquence d’ériger la dot en « un prix d’achat de la femme ». Des hommes riches, des fonctionnaires, des gens qui avaient un « rappel », calculaient le nombre de femmes qu’ils pouvaient avoir. Vous convenez avec moi que la solution ne doit pas venir du haut par une décision autoritaire. Je pense plutôt à un apprentissage des façons de faire de nos ancêtres, à la vulgarisation et à la valorisation de nos traditions auprès de nos jeunes générations. On pourrait de ce fait, valoriser les études d’anthropologie.

Par ailleurs, supprimer la dot serait une grosse erreur, car plus que le symbole de l’entente entre les familles, elle est aussi une preuve d’amour que le jeune homme témoigne à sa future épouse en versant sa dot (qui, dans certains cas n’est aujourd’hui que de la nourriture offerte aux pères, mères et frères de la fiancée). « La dot ne finit pas » Il ne faut donc pas tout exiger et avoir tout au début. La dot, c’est la belle-mère qu’on fait soigner à l’hôpital. La contre-dot, c’est la scolarité de l’enfant de la sœur qu’on prend en charge. Les études ont révélé que les femmes elles-mêmes sont les plus grandes partisanes de la dot. Celle-ci constitue pour elles un signe de dignité, l’expression d’une sortie honorable de la maison familiale. La dot reste et demeure un symbole fort avec lequel il faut compter pour la paix et l’entente dans les familles.

Propos recueillis par Achile Magloire Ngah

 

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