L’avocate Franco-camerounaise, Annette Lydienne Yen-Eyoum condamnée le 26 septembre 2014 par le Tribunal criminel spécial (TCS) à 25 ans de prison, a vu son recours en cassation infirmé. La section spécialisée de la Cour suprême en confirmant sa peine le 9 juin 2015, n’a pas vidé la guerre autour des faits. Loin s’en faut, même si le cas Eyoum trône comme un dossier diplomatique sur les tables des présidents Hollande et Biya et que peut-être la grâce ou l’amnistie sont déjà à l’ordre du jour.
Voici une certitude : s’il est clair que le feuilleton judiciaire Lydienne Yen-Eyoum contre l’Etat du Cameroun ne souffre d’aucun flou autour de la procédure, les faits demeurent le plus grand nœud d’incertitudes. Aucune surprise au fond. Le 09 juin 2015 au matin, la cloche de la Cour suprême du Cameroun retentit. Les juges désignés à la section spécialisée de ladite Cour pour connaitre des matières de révision des décisions rendues par le TCS – tribunal criminel Spécial-prennent place. Sur la table l’affaire à délibérer, Ministère Public contre Me Eyoum Yen Lydienne. La salle d’audience est quasiment vide. On remarque tout de même, la présence de l’ancien ministre des Finances, Polycarpe Abah Abah et de l’époux de la condamnée. Aussitôt débutée, l’audience va être levée : L’avocate franco-camerounaise de 56 ans, vêtue d’une somptueuse chemise et d’un pantalon s’entend confirmer dans sa sanction : « 1,6 milliard de FCFA de principal à rembourser à l’Etat et des dommages et intérêt de 75 millions FCFA à verser à l’Etat ». Annette Lydienne Yen Eyoum, avocate à la tête de près de 30 ans d’expérience est donc toujours condamnée à payer solidairement avec Honoré Ngwen, ancien chef de la division des Affaires juridiques du ministère des Finances à l’époque des faits, la somme de 1,153 milliard de F. Polycarpe Abah Abah et Me Célestin Baleng Maah sont acquittés. L’accusé décédé, Henri Engoulou, n’a lui plus rien à craindre. Dans le même sens, les peines accessoires sont toutes autant confirmées. Il s’agit notamment de la confiscation des biens de la condamnée. En plus de la condamner aux dépens – c'est-à-dire toutes les dépenses provoquées par la procédure, - la section spécialisée maintient l’application de l’article 35 du code pénal camerounais : « Confiscation du . (1) En cas de condamnation pour crime ou délit, le tribunal ou la cour peut ordonner la confiscation de tous biens meubles ou immeubles appartenant au condamné et saisis, lorsque ceux-ci ont servi d'instrument pour commettre l'infraction ou qu'ils en sont le produit ». Sur ce point-là, l’un des avocats du Conseil de l’avocate va déplorer le fait que « certains biens acquis par ma cliente avant de défendre le ministère des Finances en justice ont été confisqué, pourtant, ils n’ont aucun rapport avec cette affaire ». Voilà pour l’issue de cette procédure close, car plus aucun recours n’est possible au plan judiciaire. En effet, l’article 11 de la loi organisant le TCS prévoit que ce tribunal statue en premier et dernier ressort. Ses décisions ne pouvant exclusivement faire l’objet d’un pourvoi. Alors que le pourvoi du Ministère Public porte sur les faits et les points de droit, celui des autres parties ne porte que sur les points de droit. L’article 13 de cette même loi ajoute que l’examen du pourvoi par la Cour Suprême est dévolu à une section spécialisée, désignée par le Premier président et comportant des magistrats des trois chambres judiciaire, administrative et des comptes à raison de deux (02) magistrats par chambre. Ce qui a été le cas. Cette section dispose d’un délai maximum de six (06) mois pour vider sa saisine. Mais, on se rend compte de ce que la haute juridiction a rejeté le pourvoi en cassation introduit par la plaignante et ses conseils le 29 septembre 2014. Dès lors, il semble que la Cour suprême a fait plus de 06 mois pour clore le dossier.
LA PROCÉDURE DEPUIS LE DÉBUT
Personne ne semble contester que, le 11 janvier 2010, Annette Lydienne Yen Eyoum [avocat du ministère de l’Economie et des Finances (MINEFI)], Polycarpe Abah Abah [ministre de l’Economie et des Finances] et Henri Engoulou [secrétaire général du MINEFI] ont été inculpés de détournement de deniers publics en coaction de la somme 1 077 955 964 F et Célestin Baleng Maah [huissier de justice à Douala] de complicité de détournement de cette somme. Qu’ils ont été placés sous mandat de détention provisoire. Personne ne conteste aussi que le 17 mai 2010, un mandat d’arrêt est décerné contre Honoré Ngwen en fuite pour complicité de détournement de deniers publics, ni que le 28 avril 2010, Me Annette Lydienne Yen Eyoum a saisi le président du Tribunal de grande instance du Mfoundi d’une requête en libération immédiate fondée sur l’ « illégalité » de son arrestation qui a été rejetée le 27 mai 2010 et confirmée à la suite de l’appel de l’avocate par la Cour d’Appel du Centre. Il n’est pas discuté que le 8 juillet 2011, tous les inculpés ont été renvoyés devant la Chambre criminelle du Tribunal de grande instance du Mfoundi pour y être jugés sur les faits de l’inculpation quand des exceptions d’incompétence de la juridiction soulevées par les conseils de Me Eyoum seront rejetées comme non fondées. Les 29 février et 1er mars 2012, Annette Lydienne Eyoum et Célestin Baleng Maah ont respectivement interjeté appel contre ce jugement avant dire droit. En octobre 2012, la Cour d’Appel du Centre a confirmé le jugement entrepris et ordonné le retour du dossier de la procédure devant le Tribunal de Grande instance du Mfoundi. L’appel interjeté par les conseils de l’avocate sera lui également sans suite. C’est alors que la procédure sera portée devant le Tribunal criminel spécial (TCS) jusqu’à la décision que l’on connait. Mais, là n’est que la procédure, les faits sont moins incontestables. En effet, le groupe de travail sur la détention arbitraire du Haut-commissariat des Nations Unies pour les Droits de l’Homme décrit la même procédure dans un avis adopté lors de sa 72ème session du 20-29 avril 2015 et communiqué au gouvernement camerounais. Par cet avis auquel le Cameroun n’a pas répondu, cette instance a décrié le fait que : « l’arrestation et la privation de liberté de Me Eyoum sont arbitraires dans la mesure où il n’y a pas eu de notification des motifs et que la détention provisoire a dépassé les délais légaux (…) », à la suite est demandé une libération et un dédommagement.
LA GUERRE DES FAITS : ENTRE L’ETAT ET LA PLAIGNANTE, LE JUGE A CHOISI
Le gouvernement, au travers de son porte-parole, le ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary (point de presse tenu le 03 octobre 2014 dans la foulée de la décision du TCS) et la presse officielle, Cameroon Tribune ( édition du 11 juin 2015), avancent des faits que la défense de Me Eyoum décrie. Selon l’accusation, l’Etat et la presse officielle, les faits remontent à mai 2004 lorsque : « la Société générale de banques au Cameroun (SGBC) a reçu la somme de 3 637 072 000 F de la société Cacao Barry SA en faveur de la liquidation de l’ex Office national de commercialisation des produits de base (ONCPB). Sur instruction du ministre du Développement industriel et Commercial, la banque a viré la somme de 3 219 802 822 F aux Ets Gortzounian Sarl et le reliquat à la liquidation ONCPB. Cette dernière conteste le « partage » et décide de poursuivre la SGBC en recouvrement de la totalité de l’argent qui lui était destiné, laquelle a été condamnée à lui payer la somme de 3 897 000 000 de F, déduction faite de la somme de 400 millions de F déjà perçue. Requis par Me Annette Lydienne Yen Eyoum, Me Célestin Baleng Maah pratique une saisie-attribution de créances à hauteur de 5 124 497 461 024 F. Des négociations sont engagées entre les différentes parties qui aboutissent au versement de la somme de 3 615 772 800 au Trésor public et le MINEFI d’alors, Edouard Akame Mfoumou, donne main levée de cette saisie le 3 avril 2001. Celle-ci est d’ailleurs entérinée par la Cour d’Appel du Littoral dans son arrêt du 8 août 2001. Nonobstant cet arrangement, Me Annette Lydienne Yen Eyoum, à l’initiative du secrétaire général du MINEFI de l’époque, Henri Engoulou, fait rouvrir le procès pourtant définitivement clos en faisant pratiquer le 15 juillet 2004, une autre saisie-attribution de créances par le même huissier, sur les avoirs de la SGBC à la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) à hauteur de 2 155 971 808 F. Le 14 décembre 2004, le président du Tribunal de première instance de Douala-Bonanjo ordonne le reversement de cette somme à l’Etat ». Ensuite, toujours selon l’Etat du Cameroun, « le 16 décembre 2004, alors que la décision n’est pas encore définitive, l’avocat du ministère de l’Economie et des Finances (MINEFI), Polycarpe Abah Abah donne un « pouvoir spécial » à l’avocate Annette Lydienne Yen Eyoum de « recouvrer et recevoir au nom de l’Etat les causes de la saisie ». Ce qu’elle fait en transférant les fonds concernés dans son compte personnel domicilié à la Standard Chartered Bank. Le ministre délégué aux Finances, chargé du Budget, Henri Engoulou ordonne à l’avocate de reverser la moitié de la somme recouvrée au Trésor public. Me Yen Eyoum vire donc la somme de 1 077 985 954 F au Trésor public et s’approprie le reste. Soit le même montant. Ceci en dépit des instructions de la présidence de la République qui demandait de rétablir la SGBC dans ses droits par le remboursement des sommes indûment saisies, dès lors que la chambre de référés de la Cour d’Appel du Littoral, dans son arrêt du 24 mars 2008 avait annulé la saisie-attribution de créances pratiquée le 15 juillet 2004. Me Yen Eyoum refusera donc de restituer la somme indûment retenue, privant ainsi les caisses de l’Etat de 1 077 985 904 F. Malgré une somme de plus de 360 millions de FCFA déjà perçue au titre d’honoraires ».
LES FAITS SELON LA PLAIGNANTE
Voici ce que l’avocate a présenté comme étant les faits : « Tout ce que je savais, c’est que la SGBC avait remis au ministre d’Etat Akame Mfoumou avant son départ de ce département ministériel, sur les FCFA 5.124.497.461,24, un montant partiel de FCFA 3.615.972.800 payé par chèque à l’ordre du trésor public et que le reliquat restait à payer nonobstant une action en dommages-intérêts contre la SGBC toujours pendante à ce jour devant le Tribunal de Grande Instance du Littoral à Douala. Le 15 juillet 2004, sous la tutelle du ministre Meva’a M’Eboutou et d’un nouveau Secrétaire Général du ministère des Finances Henri Engoulou, une autre saisie-attribution des créances fut donc pratiquée au préjudice de la SGBC pour le reliquat des sommes relevant de la première saisie (22 août 2000) par les mêmes auxiliaires de justice sus visés ». Le 22 Août 2000, elle demande à Me Célestin Baleng Maah, huissier de justice à Douala de saisir le compte de Société Générale de Banques au Cameroun en abrégé SGBC auprès de la BEAC de 5.124.497.461,24 FCFA. C’est alors que la SGBC va contester cette saisie devant le juge compétent. Celui-ci va ordonner à travers deux décisions, le reversement de l’argent saisi. Entre les amendes et les intérêts, la condamnation sera portée à 14 milliards selon l’ordonnance n°299 du 31 janvier 2001. Par ces décisions, les fonds saisis étaient répartis et attribués ainsi qu’il suit :
Pour l’Etat/MINEFI, 4.675.601.253 FCFA. Pour l’avocat : un montant de 1.096.353.355 FCFA
L’avocate explique que cette répartition a été confirmée par la Cour d’ Appel du Littoral dans un arrêt du 24 mars 2008 « rendu sous la pression du ministre de la Justice Garde des Sceaux de l’époque Amadou Ali - en personne qui exigera que la saisie-attribution de 2.155.971.808.253 FCFA que j’ai fait pratiquer le 15 juillet 2004 et exécuter définitivement le 21 décembre 2004 soit annulée quatre années après ».
La franco-Camerounaise va ajouter que : « la procédure de « saisie attribution » est issue des Actes Uniformes OHADA, eux-même issus du Traité OHADA, donc d’une Convention Internationale ratifiée par le Cameroun qui a primauté sur les lois nationales. Ce n’est donc que ce Traité qui est applicable dans cette matière ». Il s’agit donc, selon la juriste, d’un argent à placer sous spectre du droit des affaires et non du droit applicable au denier public. L’avocate va ajouter que si elle a mis l’argent sur son compte, cela a été fait en attendant de tomber d’accord avec le Minefi sur ses honoraires et que la loi lui permet de conserver les fonds durant le mois qui suit la saisie.
Quoiqu’il en soit, le juge du TCS et celui de la Cour Suprême ont pris leur décision.
Etant donné que la voix judiciaire est close, il faut espérer une issue politique à la Thierry Michel Atangana – franco-camerounais lui aussi – au moment où le président français vient d’effectuer le voyage de Yaoundé.
Ce n’est donc pas encore le clap de fin. En effet, le président français François Hollande, lors de sa visite au Cameroun et son homologue camerounais ont abordé le cas Me Lydienne Yen Eyoum. On se souvient que François Hollande a dit que « tous les dossiers avaient été mis sur la table entre Paul Biya et lui, y compris les dossiers humanitaires comme celui-ci ».
Le président camerounais a ensuite pris la parole pour dire « qu’il s’agissait d’un dossier qui regardait la justice camerounaise et que celle-ci était indépendante, mais qu’il verrait ce qu’il pourrait faire dans le cadre de ce que la Constitution lui permettrait le moment venu ».
Si au plan judiciaire tous les recours nationaux ont été épuisés avec la sentence de la cour Suprême, il n’en demeure pas moins que l’avocate puisse bénéficier de la grâce présidentielle qui participe du pouvoir discrétionnaire du président de la République Son Excellence Paul Biya. L’avocate de Lydienne Yen Eyoum, Me Caroline Wassermann profite de cette porte entrouverte du président camerounais pour demander la grâce amnistiante afin d’être réintégrée dans ses droits, puisque sa cliente continue à clamer son innocence.
Willy Zogo.