Travail décent : Le Cameroun n’est pas en règle avec l’OIT

Après une enquête de terrain et sur la base de plusieurs indicateurs, l’Organisation Internationale du travail (OIT) a diagnostiqué les lacunes dont souffre le droit camerounais dans sa construction d’un cadre pour le « travail décent ».

Alors que la 130ème édition de la journée internationale du Travail  qui vient d’être célébrée sous le thème de la « Responsabilité sociale des entreprises et des syndicats pour le travail décent », la question de la place et de l’effectivité du  « travail décent » au Cameroun se pose. Il y a quelques années, précisément en 2012, le Bureau International du Travail (BIT) a dressé un profil national du travail décent du Cameroun. L’objectif  du BIT pour cette étude du contexte socioéconomique et juridique du Cameroun sur la dernière décennie (2000-2010) était d’ « évaluer de façon critique et sur la base de sources nationales les progrès réalisés sur le plan du travail décent au Cameroun en favorisant le dialogue social au niveau national ». Les indicateurs utilisés étaient les statistiques et les textes juridiques compilés sur la base de la liste des indicateurs du cadre global du BIT pour la mesure du travail décent. Il est apparu que le droit au Cameroun n’ignore pas le travail décent, mais des efforts restent à faire.

 Il faut déjà souligner que l’organisation internationale du Travail (OIT) définit le travail décent comme l’ensemble des aspirations des êtres humains au travail qui regroupent  l’accès à un travail productif et convenablement rémunéré, la sécurité sur le lieu de travail et la protection sociale pour les familles, de meilleures perspectives de développement personnel et d’insertion sociale, la liberté pour les individus d’exprimer leurs revendications, de s’organiser et de participer aux décisions qui affectent leur vie, et l’égalité des chances et de traitement pour tous, hommes et femmes. 

Où en est le droit au Cameroun ? Dans une démarche discursive, un confrère se demandait : « Doit-on célébrer le ‘travail décent au Cameroun » ? Dans une toute autre posture, le président National du Mouvement de Renaissance du Cameroun (MRC), Maurice Kamto, dans une déclaration faite aux travailleurs à Yaoundé, le 28 avril dernier, écrivait : « vous allez célébrer [ la fête du travail], dans quelques heures, mais au cours de l'année écoulée, aucun signal positif n’a été donné pour l’amélioration des politiques du travail décent ». Et parmi, « les politiques » dont le politique parle, il y a inévitablement le cadre juridique.

Il est à rappeler que le contexte juridique du travail au Cameroun est mis en avant dans la Constitution du 18 janvier 1996. En effet, la loi fondamentale se réfère dans son préambule à des principes fondamentaux contenus dans les principaux instruments internationaux, ainsi elle garantit la liberté de communication, la liberté d’expression, la liberté de presse, la liberté d’association, la liberté syndicale et le droit de grève. En outre, elle proclame que le travail est un droit et un devoir pour tout homme. Elle pose l’État comme le garant de l’égalité homme/femme et elle interdit toute forme de discrimination. Mais, plus spécifiquement, le principal instrument du droit du travail au Cameroun est le Code du travail issu de la loi N° 92/007 du 14 août 1992 portant Code du travail. De fait, perçue comme novatrice, cette loi est apparue dans un contexte marqué par des bouleversements économiques et sociaux consécutifs à l’apparition du chômage au milieu des années quatre-vingt. Les nouveaux enjeux étaient alors la concertation, la négociation, la liberté d’expression des travailleurs et, par suite, le développement des institutions représentatives de cette catégorie.

Dans ce contexte, l’adoption du code était présentée comme la promotion d’un équilibre entre les principaux enjeux, à savoir la protection du salarié, l’intérêt de l’employeur et la sauvegarde de l’entreprise source d’emplois. Cette loi renforce l’État dans son rôle d’arbitre et de conseil pour préserver la nécessaire équité dans les relations employeurs/travailleurs. Les autres sources du droit du travail camerounais sont, pour l’essentiel, les multiples décrets et lois qui précisent et appliquent certaines dispositions du Code.

CE QUE LE BIT REPROCHE AU CAMEROUN

L’étude de l’OIT a été menée avec l’aide du ministère du Travail et de la Sécurité Sociale (Mintss), du ministère de l’Emploi et la Formation Professionnelle (Minefop), celui de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire (Minepat), l’Institut national de la statistique (Ins), le Fonds national de l’emploi (Fne), l’Observatoire national de l’emploi et de la formation professionnelle (Onefop), l’Union générale des travailleurs du Cameroun (Ugtc) et le Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam). Les indicateurs retenus étaient les possibilités d’emploi, le revenu convenable et emploi productif, la durée du travail décente, la possibilités de concilier travail, vie de famille et vie privée, les formes de travail à abolir , la stabilité et sécurité du travail , l’égalité de chances et de traitement dans l’emploi, la sécurité du milieu de travail, la sécurité sociale, le dialogue social et la représentation des travailleurs et des employeurs.

Il en est ressorti que sur la question du droit du travail décent, le Cameroun doit encore faire des efforts. Il doit notamment ratifier la Convention N°. 150 sur l’administration du travail de 1978, celle concernant la sécurité sociale sur la norme minimum de 1952, celle sur la promotion de l’emploi et la protection contre le chômage de 1988, celle sur la durée du travail en industrie de 1919, celle sur la durée du travail dans le commerce et les bureaux de 1930, celle sur les travailleurs ayant des responsabilités familiales de 1981.

RETOUR SUR LE THÈME DU 1ER MAI

« Responsabilité sociale des entreprises et des syndicats pour le travail décent». Ce thème qui a été le fil d’Ariane des célébrations de la dernière fête du travail mélange plusieurs notions. D’abord, il faut dire avec le Pr. Maurice Kamto que le développement durable et la responsabilité sociétale des entreprises qui sont aujourd’hui au cœur des préoccupations à l’échelle mondiale doivent rentrer dans l’agenda du Cameroun. Le développement durable peut s’entendre comme un développement qui permet aux entreprises de satisfaire leurs besoins présents, sans, toutefois, compromettre la satisfaction des besoins des générations futures, car nous sommes responsables aujourd'hui de ce qu'il leur arrivera demain. La responsabilité sociétale des entreprises est quant à elle, la prise en compte par chaque entreprise de l’impact de ses activités sur son environnement interne et externe. Et de fait, il est clair que le Cameroun ne peut rester en marge de ces préoccupations. Concrètement, le développement durable exige, dans le domaine des forêts par exemple, que pour chaque arbre coupé par une entreprise, nationale ou étrangère, celle-ci ou l'organisme public en charge de la gestion du secteur forestier replante au moins un autre arbre. Sur le plan social, les entreprises doivent garantir à leurs employés des meilleures conditions de travail, impliquant des salaires acceptables et l'équité salariale, le respect de la dignité des travailleurs, le développement d’un climat de travail propice à la créativité, la promotion de l’égalité hommes-femmes dans l'emploi, la santé et la sécurité au travail.

Comme le pose le président du MRC, il est de la responsabilité première du gouvernement de notre pays de mener des politiques imaginatives, cohérentes et engagées pour lutter contre le chômage chronique des forces vives de la nation, en particulier celui des jeunes, mais aussi d'amener les entreprises et toutes les parties prenantes, dont les syndicats, à prendre conscience de leur propre responsabilité en matière d’offres d’emplois durables et de défense des intérêts des travailleurs.

L’un dans l’autre, il est clair que même au Cameroun, toute entreprise citoyenne doit, de nos jours, être préoccupée par le souci de respecter et de protéger l'environnement, en particulier contre différentes formes de pollution. La bonne gouvernance exige, entre autres, l’implication des membres des conseils d’administration et des représentants des employés dans la marche de l'entreprise. Sur ces deux sujets, nos emprises ont certainement des efforts à faire. Mais il y a va de leurs intérêts, car si la pollution découlant par exemple du non-traitement des déchets industriels peuvent rapporter quelque profit aux entreprises polluantes à court, à moyen et à long terme, elle constitue un fardeau pour lesdites entreprises autant que pour la collectivité nationale, notamment pour les problèmes de santé publique qu'elle génère. Pareillement, une mal-gouvernance de l'entreprise caractérisée par l'opacité et une gestion familiale ne permet pas à toutes les parties prenantes d'apprécier et d'accepter les justes efforts qu'elles doivent fournir pour le progrès de l'entreprise, ou pour la sauver en cas de difficulté.

L’intégration de la responsabilité sociétale et sociale au sein de nos entreprises permettra à celles-ci de prendre en compte leurs différentes parties prenantes (dirigeants, employés, syndicats, fournisseurs, clients, administration, communautés culturelles, concurrents… etc.), et de mieux cerner les intérêts de chacune d’elles, afin de rechercher un équilibre entre ces différents intérêts, mais aussi de faire des entreprises des acteurs importants d'un développement durable. Il ne s'agit pas d'une affaire des entreprises des pays développés. C'est l'affaire de toute entreprise qui est non seulement un lieu de production de richesse, mais aussi un lieu de vie.

Les syndicats doivent jouer à cet égard leur rôle de vigile des valeurs d'entreprise et des valeurs sociales et collectives dans l'intérêt primordial des travailleurs qu'ils représentent. Ils ne sont pas des partis politiques. Ils ne sont pas au service du parti au pouvoir. Rien ne peut justifier qu’un syndicat adresse une motion de soutien à un chef de parti politique, fut-il président de la République.

Au moment où nos entreprises font face à de nombreux défis, et que les travailleurs camerounais ont de multiples problèmes non réglés, tels que le renouvellement des conventions collectives, la caisse de retraite, les avancements, la sécurité d’emploi, et j'en passe, il est mal venu de voir les syndicats se disperser sur des questions qui ne concernent pas la défense des intérêts de leurs adhérents. Un syndicat qui se respecte constitue un bouclier pour les travailleurs de son secteur professionnel.

Quoiqu’il en soit, l’Etat du Cameroun ainsi que toutes les parties prenantes doivent se mettre au travail.

Daniel Ebogo

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