COUR SUPREME/ RENTREE 2016 : Les lenteurs et les erreurs judiciaires condamnées

La Cour suprême du Cameroun a effectué sa rentrée 2016 le 23 février dernier. L’audience solennelle qui s’est tenue à cet effet a permis à ses hauts magistrats de mettre en avant la lutte contre les lenteurs et les erreurs judiciaires au Cameroun…

Même les juges de la Cour suprême n’agissent que conformément à la loi. Et celle-ci est claire sur la durée de leur service par année judiciaire. Légalement, la Cour suprême doit assurer son service du 1er janvier au 31 décembre de chaque année. Pendant la période du 1er juillet au 30 septembre, la Cour suprême se trouve en vacances judiciaires  et tient des audiences consacrées essentiellement à l'examen des procédures urgentes que sont les procédures de référé, de pension alimentaire et les demandes de mise en liberté. Aussi, au début de chaque année judiciaire et au plus tard le 28 février, la Cour suprême tient, sous la présidence du Premier président, une audience solennelle de rentrée à laquelle assistent également en robe, les chefs des Cours d'appel, des juridictions inférieures en matière de contentieux administratif et des juridictions inférieures des comptes. Pour ne pas enfreindre la loi, la Cour a donc tenu ce 23 février l’audience de rentrée pour le compte de l’année judiciaire 2016. Comme il est de coutume, le parquet général et le premier président font de longues communications juridiques sous forme de leçons. A cet effet, le procureur général près la Cour suprême, Luc Ndjodo, a pris la parole, sur instruction du maître de céans qui n’était autre que le premier président de la Cour suprême Daniel Mekobe Sone, pour  détailler les réquisitions du parquet général.

C’est donc à lui qu’il a été donné de souhaiter la bienvenue à toutes les personnalités qui ont fait le déplacement de la salle d’audience de la Cour suprême. Il s’agit notamment du ministre de la Justice, garde des Sceaux, M. Laurent Esso, des sénateurs, des députés, des représentants des avocats, huissiers et notaires. Pour ne citer qu’eux.

Pour sa leçon inaugurale, le procureur général a longuement disserté sur la problématique du temps judiciaire.  Selon lui, le temps judiciaire se décline en temps de l’enquête, de l’instruction, de la sentence, des voies de recours et de l’exécution. Le droit interne a mis en place les procédures qui prescrivent des délais. On peut le voir en matière de contentieux du travail, notamment les cas de conflits individuels.

LES LENTEURS JUDICIAIRES EXAMINÉES

La leçon inaugurale du procureur  s’est fondée sur l’article 10 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Cet article qui veut que « toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».  A cette norme internationale, le pédagogue a ajouté l’article 5 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. 

Le réquisitoire a donc insisté sur le besoin de protéger tous les justiciables contre les lenteurs judiciaires qui « compromettent l’efficacité de la justice ». Il est question de questionner la personne concernée et  l’intérêt général lié au respect des délais en matière pénale ou en matière civile. Dans le cas des matières pénales. Il est question de les observer au niveau des enquêtes, de l’instruction et des jugements.

Pour étayer son argumentaire, le procureur a précisé que la question du temps judiciaire est transversale, notamment en ce qu’elle touche la procédure devant le juge judiciaire, le juge administratif, le juge civil et même le juge social. Revenant justement sur le temps en matière de conflit entre employeur et employé…

L’introduction en France du traitement en temps réel des affaires pénales tout comme en Belgique, notamment en ce qui concerne le traitement judiciaire du divorce  a inspiré le locuteur. Ce dernier est revenu sur l’augmentation des décisions rendues par la haute cour. Mais, il n’a pas manqué de souligné le dilatoire concocté par les avocats et même certaines attitudes répréhensibles des magistrats.

Le temps judiciaire n’appartient ni à l’appareil judiciaire ni aux justiciables. Il faut plutôt une collaboration et non une impatience de ces derniers.

En conclusion, le procureur général a précisé que « Le temps judiciaire n’est pas le temps médiatique ».

L’ERREUR JUDICIAIRE AU CAMEROUN

Pour ouvrir sa communication rituelle fondée sur « l’erreur judiciaire », le premier président de la Cour suprême a cité le cas de Ponce Pilate qui s’est lavé les mains et marqué le fait qu’il se dédouanait de l’injustice de la décision de quelques prêtres qui avaient commis, il y a 2000 ans, l’une des plus grandes erreurs judiciaires humaines. Plus contemporaines ont été les références faites aux affaires Dreyfus et  Outreau  pour ne se limiter qu’à celles-là. Pour sa première communication en audience de rentrée, le président à regretté que « notre société considère le juge comme un homme parfait » avant d’appeler à ce que cet idéalisme selon lequel la couronne ne se trompe pas, soit relativisé. Il a ensuite cité le professeur français Guinchard qui pense que, même si l’erreur judiciaire commise par les magistrats fausse leur jugement et cause préjudice à des tiers, elle reste susceptible de recours. 

En détaillant les raisons qui poussent le juge à l’erreur, le président a souligné la lâcheté ou les intérêts. Ceux-ci n’hésitant pas à violer l’obligation d’impartialité que ce soit dans la forme, le fond, les faits ou dans le droit.

COMMENT ÉVITER L’ERREUR JUDICIAIRE ?

Selon le premier président Daniel Mekobe Sone, la formation de nos magistrats doit jouer un rôle de fond. L’Ecole nationale de l’administration et de la magistrature (Enam) doit persévérer dans l’effort de spécialisation engagée. Les magistrats doivent observer leur déontologie et éthique. En réalité, un magistrat bien formé en amont est une erreur évitée. Dans le même sens, dans les lois camerounaises, il est prévu des cas où le juge doit éviter l’erreur. Le cas de parenté avec les justiciables doit  par exemple être signalé par le juge, à défaut, il s’expose à la dénonciation des parties au travers de la procédure de récusation. En général, comme moyens de création de l’erreur, le juge a décelé la fabrication des preuves par les enquêteurs, les pressions extérieures et hiérarchiques, l’ignorance des uns et des autres ou encore la complaisance des auxiliaires de justice. Les conséquences de l’erreur soulevées par lui sont la perte injuste des biens par les justiciables, la mort injuste ou encore la perte de crédibilité et la fissuration de l’état de droit.

Il est donc important pour le premier président que la justice reconnaisse ses propres erreurs.

PEUT-ON RÉPARER LES ERREURS DES JUGES ? 

Le juge suprême a souligné que pour soigner l’erreur judiciaire, il y a les voies de recours matérialisées par le double degré de juridiction ainsi que les appels et  les cassations formulés contre les décisions injustes. Le magistrat a pris l’exemple des pourvois contre les décisions des Cours d’appel et du TCS qui ont souvent été cassées et annulées par la Cour suprême. Il est longuement revenu sur la voie de recours qu’est la tierce opposition  ou encore la révision du procès qui sont des remèdes.

Dans le même sens, le président a souligné  la responsabilité de l’administration et du service public judiciaire. Il a décrié la fréquence de la violation des articles du code de procédure civile  et commerciale par les juges des Cours d’appel qui doivent veiller à appliquer la loi « pour améliorer le respect des droits de justiciables ».

 Le président a ensuite dénoncé l’amateurisme des avocats camerounais avant d’appeler le bâtonnier à veiller à la formation des stagiaires. Le bâtonnier ainsi interpellé a d’ailleurs reconnu l’insuffisance de compétences de certains de  ses confrères en marge de la cérémonie.

LA DEMANDE D’INDEMNISATION CONTRE LES ERREURS

Le fait pour les juges et la justice de reconnaître ses erreurs constitue selon le magistrat assis « une marque d’avancement de l’Etat de droit au Cameroun ». Pour souligner la conscience du législateur quant à l’existence et la nécessité de réparation, l’article 236 du Code de procédure pénale a été évoqué. De fait, la loi pose qu’en cas de garde à vue et de détention provisoire intervenue illégalement, la victime doit se plaindre et se faire indemniser. 

Selon ce texte, toute personne ayant fait l'objet d'une garde à vue ou d'une détention provisoire abusive peut, lorsque la procédure aboutit à une décision de non-lieu ou d'acquittement devenue irrévocable le cas échéant, demander le remboursement des frais engagés par la partie civile, la réparation des dommages causés par l'infraction et le paiement des amendes et des frais de justice. Le cautionnement déposé par la victime lui est remboursé en cas de représentation, de non-lieu, de mainlevée ou de cessation de la mesure de surveillance judiciaire.

Pour clore son propos, le magistrat suprême a cité la maxime selon laquelle : « L’erreur est humaine, mais la persévérance dans l’erreur est diabolique ».

Willy Zogo

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