Par Simon Pierre Bela Nyebe _______________________________
Communication sociale, comme tout phénomène social nécessite un encadrement pour en éviter les débordements. Au Cameroun, cet encadrement est normatif et institutionnel. Des normes existent et des instituions sont posées pour définir, règlementer et réguler la communication sociale leurs donner vie et y veiller. Ces institutions sont juridictionnelles et non juridictionnelles ; mais seules ces dernières nous intéressent dans la présente réflexion. Il s’agit du ministère de la Communication (MINCOM), et du Conseil National de la Communication (CNC).
Le MINCOM est un organe gouvernemental, un démembrement du gouvernement doté d’une autonomie financière. Placé sous l’autorité d’un ministre, et sous la coordination du Premier ministre chef du gouvernement, il est responsable de l’élaboration et de la mise en œuvre de la politique du Gouvernement en matière de communication. Le CNC est un organe de régulation et de consultation, doté de la personnalité juridique et de l’autonomie financière. Il sort des fonds baptismaux à la faveur de la loi n° 90/052 du 19 décembre 1990 sur la communication sociale. Celle-ci dispose en son article 88 ce qui suit « il est créé un Conseil national de la communication dont l’organisation et le fonctionnement sont fixés par voie règlementaire ». C’est dans ce contexte qu’intervient le Décret n°91/287 du 21 juin 1991 portant organisation et fonctionnement du CNC. Ses membres sont désignés suivant le décret n°2004/ 264 du 22 Septembre 2004. Cependant, ce n’est qu’en 2012 qu’un autre décret daté du 23 janvier 2012 réorganise cette institution. En effet, son organisation et son fonctionnement sont régis par le décret n°2012/038 du 23 Janvier 2012 portant réorganisation du Conseil National de la Communication. Il convient de relever que la réorganisation du CNC apparaissait déjà comme nécessaire au développement de la communication au Cameroun, au regard des dérives observées. De l’exposition de la vie privée des personnalités aux de règlements de comptes, en passant par le chantage et la diffusion d’informations non vérifiées. Il semble important de voir quelles sont le rôle du CNC et du MINCOM sous le prisme de leurs compétences et de leurs relations.
DE LA RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE LE CNC ET LE MINCOM
Pour l’accomplissement de ses missions, le CNC est composé de 9 Membres, dont un président et un Vice-président nommés par décret présidentiel. Il dispose d’un Secrétariat Général, placé sous l’autorité d’un secrétaire général, lui aussi nommé par décret présidentiel. La compétence régulatrice de cet organe l’amène à avoir soit un rôle consultatif soit un rôle sanctionnateur. Son rôle consultatif l’amène à donner son avis sur la politique générale de la communication sociale; les rapports du Gouvernement sur les dossiers de demande de licence d’exploitation des entreprises privées de communication audiovisuelle, à la répartition des fréquences radioélectriques affectées à la diffusion des programmes de radio et de télévision. Aussi, il émet des recommandations sur les lois et règlements relatifs à la communication sociale, la déontologie de la communication sociale ; l’égalité d’accès aux médias notamment en période électorale pour les partis politiques; sur la transparence, le pluralisme et l’équilibre des programmes dans les entreprises de communication aussi bien publique que privées.
Au surplus, le CNC veille à la promotion des langues et cultures nationales, à la protection des femmes, des enfants et des jeunes, à la protection des droits de l’homme et de la dignité humaine à travers tous les média. Relativement aux compétences du MINCOM, comme dit plus haut, il est compétent en matière d’élaboration et de mise en œuvre de la politique et de la vision gouvernementale en matière de communication sociale. Par conséquent, il lui incombe d’élaborer la règlementation et veiller au respect de la déontologie dans le domaine de la communication sociale et de la publicité ; veiller au pluralisme dans le paysage médiatique camerounais. Par sa stratégie de communication, il doit contribuer à l’éclosion et la formation d’une culture citoyenne et au développement de la conscience nationale dans ses activités en liaison avec les différentes administrations concernées. Ainsi, il apporte par exemple son aide au ministère des Relations Extérieures dans sa mission d’information des Missions diplomatiques et consulaires camerounaises et/ou des Organisations internationales, et de promotion et de l’image du Cameroun à l’étranger. Il est responsable du suivi des activités du CNC (article 2 point 6 du décret du 4 septembre 2012), des médias publics et privés, des activités des organismes intervenant dans le secteur de la communication. Il est responsable de formation des ressources humaines ainsi que de leur recyclage. En ce sens le MINCOM exerce la tutelle technique à la fois sur l’Ecole supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication (ESSTIC). Ce rôle de tutelle est étendu aux organes de presse publique, d’édition et de publicité (le cas de la SOPECAM, de la CRTV ou encore de l’Imprimerie Nationale). Il existe entre ces institutions dans leur fonctionnent des relations nécessaires pour atteindre les missions qui leurs sont assignées.
DES RELATIONS ENTRE LE CNC ET LE MINCOM
En principe les relations entre le CNC et le MINCOM sont des rapports de collaboration basées sur la confiance. Mais il peut arriver que celles-ci se muent en relation de défiance. Sur la qualité de la relation, le CNC et le MINCOM, dans leurs fonctionnements entretiennent une collaboration qu’on peut qualifier de nécessaire. Cette nécessité trouve sa justification dans le caractère complémentaire des missions respectives qui leurs sont assignées. En effet, si le MINCOM est responsable de la définition de la politique étatique en matière de communication sociale, il revient au CNC en tant qu’organe de régulation de veiller au respect de celle-ci. Il veille également au respect de l’éthique et de la déontologie qui, il faut le rappeler sont posées comme des garanties à la bonne exécution des missions à eux assignées. L’éthique et la déontologie sont un ensemble de mesures, de prescription et d’interdits, pensés pour assurer un bon fonctionnement du secteur de la communication sociale. La collaboration entre ces organes peut par exemple se situer au niveau de la compréhension de la politique étatique dans le domaine de la communication sociale au Cameroun. Il est arrivé qu’entre ces deux institutions, la collaboration de confiance se mue en une relation de défiance au point de donner l’impression d’une opposition de personnes physiques à la tête de chaque institution. A titre d’illustration, la fermeture de la chaine de télé Afrique média, sanctionnée de suspension par le CNC pour une durée d’un mois, s’était vu poser les scellés le 6 août 2015. Le 02 octobre de la même année, le MINCOM au moyen d’une correspondance demande au CNC de faire lever la suspension temporaire d’un mois qu’il avait infligé à la chaine de télé en date du 4 juin 2015 (Décision n°00015/CNC du 04 juin 2015 portant suspension temporaire de la chaine Afrique média). Le MINCOM agissait dans le cadre de sa mission de suivi des activités du CNC sur le fondement du décret 2011/408 du 9 décembre 2011 portant organisation du ministère de la Communication. Dans un entretient avec des journalistes, le vice-président du CNC de cette époque et actuel président, rappelle qu’il ne revient pas au MINCOM d’instaurer la conduite à suivre par cet organe et qui n’est pas placé sous l’autorité de ce ministère. Il rappelle par là l’indépendance du CNC qui est seul à décider des sanctions et de leur levée. Cette attitude de défiance peut se trouver sa motivation dans le caractère autoritaire de la correspondance du MINCOM adressée au CNC. Il est clair à ce niveau que le MINCOM avait outrepassé ses compétences et s’était mué en régulateur et en se substituant au CNC. L’empiètement du MINCOM dans le domaine de compétences du CNC est de nature à être interprété comme l’expression d’un conflit de compétences entre les deux. Cependant, il se peut qu’il y ait un changement de paradigme depuis l’arrivée du ministre René Emmanuel Sadi à la tête de ce ministère. Il déclarait déjà le jour de son installation qu’il allait « travailler à la défense de l’administration et de la politique définie par le président de la République et donner plus de visibilité à cette politique, de mieux la faire connaître à la population. (…) Notre mission n’est pas de verser dans la propagande, mais de convaincre nos compatriotes du bien-fondé de la politique définie par le chef de l’Etat ». Aussi, nous osons espérer qu’il y aura moins de défiance entre les deux organes. C’est du reste ce qui est souhaité quand on se rappelle que Le ministre René Emmanuel Sadi, alors ministre de l’Administration Territoriale, a par le passé soutenu le CNC.
DES CAUSES PROBABLES DU CONFLIT DE COMPÉTENCES
Le non respect de la répartition des compétences entre le CNC et MINCOM est une cause de conflit. En cas de non respect de l’éthique et la déontologie par un organe de presse, c’est au CNC et non au MINCOM de décider du sort de celui-ci. Il en est de même de la levée des sanctions, ceci pour éviter des situations d’opposition comme ce fut le cas dans l’affaire Afrique médias. On peut penser que la demande du MINCOM dans cette affaire est une violation de l’autorité du CNC. Il importe donc de définir et repréciser les contenus et contours des compétences propres à chacun. Le statut du CNC peut également constituer une cause du conflit de compétence. Le fait que cet organe, en plus d’être indépendant est rattaché au Premier ministère le ramène presqu’au même rang que le ministère. Le CNC fait donc tout son possible pour se défaire et s’émanciper de l’autorité que le MINCOM veut à tout prix exercer sur lui. Il serait bien d’insister dans les textes sur la collaboration entre CNC et MINCOM en vue d’une communication sociale plus saine, plus responsable. Le couple CNC-MINCOM représente les entités les plus actives dans le domaine de communication sociale en tant que garant. Chacun intervient à un niveau précis avec un rôle propre suivant les instruments juridiques régissant ce milieu. À lire l’article 2 point n° 6, du décret du 4 septembre 2012, il existe un pont entre les deux organes qui charge le MINCOM « du suivi des activités du CNC ».
Restrictivement, la notion de « suivi » limite le rôle du MINCOM à une simple prise de connaissance desdites activités et à une simple observation. Selon une interprétation extensive, le « suivi » implique la rédaction d’un rapport périodique ou circonstancié par le MINCOM adressé à sa hiérarchie. Comme il n’est précisé nulle part la tutelle technique, on peut conclure que le CNC ni sur le plan fonctionnel ou organique ne dépend du MINCOM. Il est comme ELECAM un établissement administratif indépendant, même comme cela n’est pas mentionné ; c’est le résultat d’une interprétation des textes. Dans ses rapports avec la primature, il ressort que le CNC est simplement « rattaché » aux services du Premier ministre. Ce rattachement n’en fait pas un service de la primature car il conserve son indépendance même si c’est le Premier ministre qui coordonne son fonctionnement. En claire, le rôle du Premier ministre se limite à fixer la rémunération du président, vice-président, secrétaire général et du personnel, approuve l’organigramme du CNC, reçoit ses rapports. En dehors de ceci, en fait de compétence du Premier ministre sur le CNC, il n’en est rien. En poussant l’analyse plus loin, on se rend compte que même le président de la République n’a qu’un pouvoir de nomination des membres. Il peutaussi les révoquer après une faute lourde et après constat du conseil ; ce qui, juridiquement parlant limite encore ses pouvoirs. En conclusion, il ressort de cette réflexion que le CNC et le MINCOM ont chacun suivant les textes, un rôle à jouer dans le domaine de la communication sociale au Cameroun. Cependant, le défaut de plus de précision dans ces textes conduit sur le terrain de leur fonctionnement à un conflit de compétences. Cet empiétement est donc source de désordre entre les entités chargées de mettre de l’ordre. Une lecture minutieuse des instruments juridiques existant permet de comprendre au final que le CNC est un établissement public administratif doté de personnalité juridique, d’autonomie administrative et financière, créé par l’administration mais qui a échappé à son créateur. Est-ce donc un monstre créé qui a échappé à son maitre ou alors ça a été voulu ainsi ?