Tribunal : L’aveu spontané, reine des preuves en justice

Atteinte à la fortune d’autrui: une dame reconnue coupable des faits d’escroquerie a été condamnée par le tribunal de première instance de Bonanjo, Cour d’appel du Littoral. Toutefois, la prévenue a bénéficié des circonstances atténuantes en sa qualité de délinquante primaire et surtout pour ses aveux spontanés.

Le 28 aout 2017, Mme la juge du Tribunal de première Instance du Littoral, section correctionnelle, prononçait la condamnation de Dame M.N.N, prétendue clerc de notaire à une peine d’emprisonnement de 3 mois ferme pour escroquerie, assorties d’une amende, mais lui accordait des circonstances atténuantes en sa qualité de délinquante primaire et pour ses aveux.

Le tribunal a décerné contre dame M.N.N deux mandats d’incarcération dont l’un pour peine privative de liberté et l’autre pour les condamnations pécuniaires prononcées au profit de l’Etat. Mme la juge avait fixé la durée de la contrainte par corps à 12 mois. Comment la prévenue en est-elle arrivée là ?

LES FAITS

En date du 22 janvier 2014, dame N.M. avait été recommandée à un Cabinet Conseil de la place par une société immobilière, pour diligenter la transaction de morcellement d’un immeuble non bâti dans la périphérie de Yaoundé, au profit d’une cliente dudit Cabinet. Se prévalant de représenter son patron, un notaire de renom dont elle prétendait être la collaboratrice dans les actes de vente, Dame M.N.N. perçoit de la part du représentant du Cabinet Conseil, les états des frais correspondants à la nature des actes, soit la somme globale de six millions deux cent quarante-quatre cent vingt-cinq mille (6. 244. 425) FCFA, le 7 janvier 2015.

Une fois l’argent de la transaction de morcellement encaissé, la prétendue clerc  de notaire est portée  disparue. Le juriste conseil spolié se rapproche du Cabinet de notaire dans lequel la jeune dame prétend travailler en tant que clerc de notaire; il lui a été dit qu’elle ne faisait pas partie du personne. En revanche, Dame N.M. était connue pour avoir servi  de personne de liaison entre le Cabinet du notaire  et celui  d’une ancienne élève du célèbre notaire, qui elle, est en réalité clerc de notaire. Cette ancienne élève  exerçant son office ministériel  dans la ville de Yaoundé est devenue  collaboratrice de l’Etude de son mentor. Il était donc normal qu’elle fût utilisée comme  agent de liaison entre les deux études.

Malgré les multiples promesses faites au Cabinet conseil, aucun acte n’avait  été délivré par la prévenue, et il y avait encore moins de preuves d’un commencement de procédures. Pire, la prétendue clerc de notaire avait disparu et quand elle a été aperçue par hasard, elle a eu comme excuse, un état de santé fragile au point d’émouvoir le plaignant.

Le Cabinet conseil procédera par des relances tant informelles (appels téléphoniques, messages) que formelles (sommations par voie d’huissier). Toutes vont rester lettres mortes.

Le 19 du mois de mai 2015, une  sommation interpellative est servie à Dame N.M. par voie d’huissier,  lui enjoignant soit de délivrer le titre foncier  attendu, soit de restituer toutes les sommes perçues assorties des documents utiles pour l’obtention d’un titre foncier. La sommation précisait également que, faute par elle de déférer à la sommation dans les délais impartis, elle ferait l’objet de poursuites judiciaires pour abus de confiance et escroquerie aggravés conformément aux dispositions des articles 74 (alinéa 2) : « Est pénalement responsable,  celui qui, volontairement, commet les faits caractérisant les éléments constitutifs d’une  infraction avec l’intention que ces faits aient pour conséquences la réalisation de l’infraction », et 318 « 1-Est puni d’un emprisonnement de cinq (05) ans à dix (10) ans et d’une amende de cent mille à un (01) million de francs, celui qui porte atteinte à la fortune d’autrui : (c ) « Par escroquerie , c’est-à-dire, en déterminant fallacieusement la victime soit par des manœuvres, soit en affirmant ou dissimulant un fait ».

LES AUDITIONS

Le 19 juin 2015, excédé par le mépris de la prétendue clec de notaire qui n’a pas daigné obéir à l’injonction  sus évoquée, le représentant du Cabinet conseil déposera une première plainte contre elle auprès de la Légion de Gendarmerie de la région du Centre, pour abus de confiance et escroquerie aggravés. Au cours de son instruction, le célèbre notaire dont elle prétendait être la collaboratrice a été auditionné : « N.M.N ne travaille pas chez moi, a-t-il déclaré, c’est plutôt une employée de mon ancienne élève qui est clerc de notaire. C’est cette dernière, dans le cadre de nos rapports, comme c’est le cas de plusieurs Etudes au Cameroun, reçoit les actes de mon étude, me les transmets avec  un cahier de transmission et après  que je les ai vérifiés, mon ancienne élève fait les formalités de l’acte, c’est-à-dire l’enregistrement, la conservation foncière et parfois le greffe. C’est donc son planton Mlle N.M. qui assurait ce travail pour elle ; c’est dans le cadre de ce travail qu’elle arrivait à l’Etude. Elle faisait ces formalités parce que la clerc de notaire mettait à sa disposition des fonds pour le faire. Il est spécifié que la clerc de notaire devait faire ce travail elle-même. Si Mlle N.M. se retrouve avec les papiers-entête de mon Etude, elle peut  les avoir volés, parce qu’elle est en contact avec mes secrétaires. ».

Entendue à son tour, la clerc de notaire, ancienne élève du célèbre notaire déclare : « N.M., je l’ai prise dans mon cabinet comme agent de liaison entre l’Etude de Me X. et mon étude. Son travail se limitait à la transmission des dossiers entre cette étude et moi.  Elle n’avait pas compétence de recevoir les dossiers des clients. Concernant le dossier en question, elle ne m’a jamais mise au courant de son existence. J’ai plutôt été informée par le représentant du Cabinet Conseil. Et c’est une agence immobilière qui a procédé à l’achat de terrain de la cliente du Cabinet Conseil  qui l’a branchée directement avec ce dernier. Par la suite, il est venu me présenter les reçus qu’elle lui aurait délivrés  avec les entêtes du notaire Me X. Je ne me sens pas responsable, car ce dossier doit être réglé par elle-même.».

Transmis au parquet, l’affaire est pratiquement classée, le dossier disparaît et Dame N.M. se volatilise dans la nature. Le plaignant pensait qu’elle avait quitté le pays, jusqu’au jour où elle est aperçue à Douala, dans le littoral. Le plaignant met donc toute son ingéniosité pour la débusquer. Mlle N.M. avait déjà trouvé un job comme commerciale dans une « tour operator » de la cité.

Une seconde plainte sera déposée au Parquet près le Tribunal de Première Instance de Douala Bonanjo, le 09 août 2017. La prétendue clerc de notaire est alors traduite devant cette juridiction statuant en matière correctionnelle pour y répondre de la prévention d’avoir porté atteinte à la fortune d’autrui, par escroquerie, (article 318 alinéa c) en déterminant fallacieusement  la victime par des manœuvres à lui remettre la somme de six  millions  deux cent quarante-quatre mille quatre cent vingt-cinq ( 6.244.425) F CFA en affirmant être Clerc de notaire à l’Etude Me X, siégeant à la cour d’Appel du centre, sous prétexte de diligenter la transaction de morcellement d’un immeuble pour le compte d’une cliente du Cabinet Conseil. Des faits réprimés par les articles sus mentionnés du code pénal.

LE PROCÈS

Suivant le procès-verbal d’interrogatoire au Parquet,  où elle reconnaît, les faits; l’affaire, régulièrement inscrite au rôle a été appelée le 10 août 2017 pour une première audience, au cour de laquelle le président a fait donner lecture de la prévention par le greffier audiencier ; la prévenue avait plaidé d’emblée coupable et avait sollicité d’être jugée sur le champ et qu’en conséquence de ce choix, la parole avait été donnée au Ministère public qui a relaté les faits et le procès-verbal d’enquête préliminaire a été reçu et admis comme pièce à conviction ; parole avait ensuite été donnée à la prévenue qui a déclaré que l’exposé du Ministère public était exact, promettant de rembourser les sommes dues grâce au travail qu’elle effectue; elle a demandé pardon et a sollicité que le juge tienne compte de son état de santé.

A cette même audience, l’affaire a été retenue et mise en délibéré pour jugement à être rendu le 21 août 2017, puis prorogé pour le 28 août 2017 pour le prononcé de la sentence.

LA DÉCISION DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

Mlle N.M. sera alors déclarée coupable d’escroquerie (articles 74 et 318 al.1 du code pénal). Le juge lui accordera des circonstances atténuantes en sa qualité de délinquante primaire, puis la condamnera  à trois mois d’emprisonnement ferme, à 10.000 FCFA d’amende, et aux dépens liquidés à 350.000 FCFA; elle décernera contre elle deux mandats dont l’un pour la peine privative de liberté et l’autre pour les condamnations pécuniaires prononcées au profit de l’Etat, fixera la durée de la contrainte  par corps à douze mois et condamne Mlle M.N. à verser au Cabinet Conseil la somme de  six millions cinq cents (6.500 000) FCFA dont cinq millions huit-cent cinquante mille (5.850.000) FCFA au principal et six  cent cinquante mille (650.000 )FCFA en préjudice moral, a rejeté le surplus  de la demande du plaignant comme non fondé. Car le montant du préjudice réclamé par le plaignant s’élevait à la somme de 2. 000. 000 FCFA.

LE POINT JURIDIQUE

Tout en l’admettant au bénéfice de délinquant primaire et en raison de ses aveux conformément à l’article 315 du Code pénal : «1- L’aveu est une déclaration faite, à un moment quelconque, par le prévenu et par laquelle il reconnaît être l’auteur de l’infraction qui lui est reprochée. ».

Le juge a admis ces aveux à double titre:

D’abord parce qu’ils n’ont pas été faits sous la contrainte alinéa 2 de l’article sus évoqué : « L'aveu n'est pas admis comme moyen de preuve s'il a été obtenu par contrainte, violence ou menace ou contre promesse d'un avantage quelconque ou par tout autre moyen portant atteinte à la libre volonté de son auteur ».

En suite parce que le Ministère public a produit le PV d’enquête préliminaire comme pièce à conviction. L’alinéa 3 de l’article 315 dispose que : « L'aveu fait volontairement constitue un moyen de preuve à l'encontre de son auteur. ».

Le juge a admis ces aveux parce que la prévenue  a déclaré l’exposé du juge d’instruction exact.

Forts de ces éléments corroborant les aveux spontanés, le code de procédure pénal n’appelle plus d’autres investigations, d’où les circonstances atténuantes.

La prise en compte des aveux spontanés par la justice camerounaise est une réalité dans nos juridictions. Le TPI de N’Gaoundéré, en son temps, dans son jugement n° 831/Cor du 27 juin 1996 dans l’Affaire Ministère Public et DILLA Simon C/KEREBAI Noel, le tribunal déclarait : « KEREBAI Noel coupable de pratiques de sorcellerie, lui accordait des circonstances atténuantes pour ses aveux spontanés, le condamnait à un (01) an d’emprisonnement ferme et aux dépends ». Le Ministère public ayant interjeté appel de ce jugement au motif qu’en première instance, le juge avait prononcé une peine très  douce pour une infraction aussi grave comme la pratique de la sorcellerie, la cour d’Appel de l’Adamaoua dans son Arrêt N° 80/Cor du 16 décembre 1999 confirmait la culpabilité et condamnait le prévu à deux (02) ans d’emprisonnement, assorties d’une amende de cinquante mille (50. 000) F CFA, malgré son aveu.

Nadine Eyikè

 

 

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