Appelé comme témoin avec le commissaire aux comptes Marcel Tchagongom, l’ancien gouverneur Louis Eyeya Zanga a été entendu le mardi 14 avril 2015 au Tribunal Criminel Spécial dans le cadre de l’affaire Sodécoton au centre de laquelle se trouve l’ancien directeur général Iya Mohammed. Il a été question du problème de l’augmentation « injustifiée » du salaire de cet ex-Dg.
Le salaire de l’ancien Dg était-il trop élevé ?
Les salaires et les avantages du Pca et du Dg de l’époque des faits de détournements incriminés ont en outre été au centre des débats.L’ex-Pca a expliqué que : « le salaire et les avantages du Dg ont été revus à la hausse car, ses sous-directeurs subalternes percevaient des salaires bien supérieurs à celui du Dg. Je me suis dit que cela n’était pas bien. Il fallait réparer cette injustice. Car, le Dg avait continué, malgré sa promotion, de percevoir un salaire de rang de secrétaire général de la société, de manière – je dirais – roturière ». Le témoin a encore ajouté : « Je pense que nous nous sommes fondés sur le plus bas salaire de tous les salaires des Dg des grandes sociétés du Cameroun ».
D’après le témoin, le contexte dans lequel le salaire d’Iya Mohammed a été revu à la hausse sans aucune résolution expresse du conseil d’Administration était marqué par l’urgence. Celle des partenaires français qui venaient de loin et qui devaient prendre l’avion à Douala après les assises, toute chose qui avait empêché, certainement de formaliser une telle résolution. Pour le témoin, ancien Pca, il était simplement question de donner au Dg un salaire décent.
Les interrogations du procureur Général
Pour le procureur général près la Tribunal criminel spécial, la question était de savoir comment pouvait-on être sûr de ce que le Dg n’était pas informé de l’augmentation de son salaire ? En outre, était-ce possible d’affirmer que les membres du Conseil ne se soient pas opposés à cette augmentation de salaire du Dg. « C’est au secrétaire des séances du Conseil qu’il appartenait de consigner tout ce qui s’est passé ». Pour le procureur, ce qui fait problème, c’est l’absence d’état salarial et surtout de conformité entre le salaire de l’ancien Dg et ceux pratiqués dans d’autres sociétés. « En ma connaissance, aucun partenaire n’avait remis en cause le salaire en question, avait alors précisé l’ex-Pca avant d’ajouter que, jusqu’à la fin de mes fonctions, je n’ai jamais reçu de récriminations en ce sens ».
Il n’y a jamais eu la moindre intention délictuelle de la part du conseil d’administration selon le témoin.
Une autre question, celle de l’avocat à charge cette fois-là, relative au mode de délibération du Conseil d’administration ?
« Nous constitutions un organe collégial avec un ordre du jour à examiner point par point. Nous avions déjà au préalable de petites concertations sur des points essentiels. C’est cela qui rendait faciles, les échanges en conseil avec nos partenaires qui venaient entre autres de Paris, souvent avec des a priori. Mais, je peux dire que les décisions que nous prenions se faisaient à l’unanimité ».
Quelques extraits des statuts de la Sodécoton ont ensuite été lus à l’audience par les avocats de l’accusation. Il y est dit que les résolutions du Conseil doivent être prises à la majorité des membres. Ce qui a pourtant semblé être le cas.
De par la loi et les statuts, le directeur général ne devait pas s’auto-attribuer un salaire. « La prime de représentation est passée d’un million à 1,3 millions FCFA, en avez-vous eu connaissance ? », qu’il a été demandé au témoin qui a répondu par la négative.
Le financement « indu » de Coton Sport ?
Question : « Monsieur le Pca, durant vos fonctions étiez vous au courant des financements versés à l’association sportive, Coton Sport ? » Réponse : « Je tiens à rappeler que le Conseil d’administration ne tenait pas le DG par la main pour signer tel ou tel acte. Je suis au courant parce que c’était prévu dans le budget dans la rubrique les « autres charges ». Et, en plus, «le soutien apporté aux activités sportives ne se limitait pas seulement à Coton Sport mais à toutes les activités sportives », a expliqué l’ancien Pca.
Ce dernier a ajouté : « Une mission du Contrôle Supérieur de l’Etat m’a demandé si j’avais autorisé le Dg de financer à plus de 4 milliards de FCFA la construction d’un stade et je leur ai répondu que si un stade a été construit, le Dg ne m’a pas demandé une quelconque autorisation pour engager les dépenses ».
Les questions du collège des juges
L’un des membres de la collégialité pose la question de savoir si les résolutions étaient signées par les membres du Conseil. « Il est arrivé, a répondu le témoin, que de manière expresse quelques deux membres du conseil puissent signer ». Autre question : Comment est-ce que le Dg pouvait donc avoir connaissance des résolutions augmentant son salaire afin de les mettre en œuvre, s’il n’y avait aucun support écrit ? « Monsieur le président, c’est un peu magique. C’est le genre de situation où il n’y a pas à écrire ». Le président du TCS a ensuite remercié l’ancien gouverneur sur cette réponse-là.
L’ancien commissaire aux comptes de la Sodécoton entendu
M. Marcel Tchagongom, expert comptable basé à Douala a ensuite été interrogé. Entre 2005 et 2010, il a certifié les comptes de la Sodécoton en tant que commissaire au compte où il officie depuis au moins 1986. Les comptes critiqués ont donc été approuvés par un commissaire aux comptes. Question : «Pourriez-vous préciser si les quitus ont été donnés à la direction générale ? Avez-vous constaté un trou dans la trésorerie de 11 milliards de FCFA et poussières ?». « Nous n’avons pas relevé de montants distraits », avait répondu l’expert.
«Si en théorie, a expliqué le commissaire aux comptes, une distraction avait été notée, nous aurions fait savoir cela aux organes de gestion ». Le comptable a confirmé l’existence d’un compte « 65 » consacré au soutien des activités sportives. A la question de savoir si la Sodécoton avait un système interne de contrôle entre 2005 et 2010, le comptable précise qu’il y a eu un système de contrôle général transformé plus tard en direction de contrôle et audit de gestion. « En tout état de cause, nous n’avons pas relevé d’anomalies qui auraient justifié une alerte » a alors conclu le commissaire aux comptes de la Sodécoton. Il a par ailleurs été signalé que l’adoption d’un budget n’équivaut pas à un contrôle de la pertinence de l’exécution du budget par les organes de direction.
Par ailleurs, le comptable a été interrogé sur la propriété de Coton sport. Il a répondu que la Sodécoton est aujourd’hui actionnaire majoritaire de l’Association sportive Coton Sport avant que la question lui soit posée de savoir si l’objet social de la Sodécoton interdisait tout soutien au Club ? «Pas vraiment, a-t-il expliqué, car l’objet qui est écrit dans les statuts ne donne que les grandes lignes des activités de l’entreprise. Il faut ajouter à cet objet des activités secondaires qui ne sont pas forcément illégales. Tel est bien le cas du soutien apporté aux activités sportives de la part de la Sodécoton».
Sur la valeur juridique du procès-verbal et des énonciations qu’il contient à la suite d’un conseil d’administration qui n’a pas pris de résolutions formellement écrite, l’expert a précisé que le droit n’était pas son domaine de spécialisation. Le commissaire aux comptes a ensuite précisé qu’il a été désigné par les actionnaires pour contrôler les chiffres et dire si les écritures sont bien passées et qu’en bout de compte, en qualité de contrôleur externe, il devait établir un rapport pour rendre compte. « Nous avions deux outils, des audits de certification et d’investigation et nous en avons fait usage » a-t-il déclaré. Lui également est passé devant le Contrôle Supérieur de l’Etat et dit n’avoir de commentaires à faire sur les rapports de la Commission Nationale Anticorruption et moins encore sur ceux du Contrôle Supérieur de l’Etat.
En outre, l’expert a dit qu’il n’avait pas à contrôler les comptes du club Coton Sport pour répondre à la question du procureur général. Le commissaire aux comptes a expliqué que les comptes du club ne lui étaient guère importants dans la mesure où, tout argent qui partait de la Sodécoton pour le club avait la forme de subvention.
Willy Zogo