Regards croisés: Ce que les rapports ont dit sur le Cameroun en 2014

Au moment où le Cameroun est secoué depuis la fin de l’année 2014 par les turbulences de l’adoption d’une loi anti-terrorisme très redoutée, il faut d’emblée dire que les rapports présentés en 2014 ont dressé l’état des droits de l’Homme pour l’année 2013. L’Etat du Cameroun, à travers son ministère de la Justice, a souligné dans son rapport les multiples avancées qu’on a pu enregistrer dans le secteur des droits de l’homme. Son rapport à lui, revient notamment dans sa première partie sur des questions se rapportant aux droits civils et politiques. Dans cette articulation du document bilingue de près 370 pages, il est question de l’état du droit à la vie, du droit à l’intégrité physique et morale, du  droit à la liberté et à la sécurité et du droit de ne pas être soumis à la torture, du droit à un procès équitable, à la liberté d’expression et de communication entres autres. Dans un second temps, le Minjustice rend compte de la situation des droits économiques, sociaux et culturels ainsi que des questions se rapportant au droit à un environnement sain, à l’éducation, à la santé ou encore celui à un niveau de vie suffisant. En dernier lieu, l’Etat camerounais rend compte de la promotion de la bonne gouvernance, de la lutte contre la corruption, des conditions de détention, de la promotion et la protection des droits des personnes socialement vulnérables ou encore de la promotion et la protection des droits de la femme…
On pourrait penser que ce maillage du rapport de l’Etat couvre toute la réalité de la question des Droits de l’Homme, pas totalement ! Certains aspects de la protection et de la promotion des Droits Humains échappent à son spectre. C’est alors qu’interviennent avec bénéfice, les détails d’appoint sur près de 250 pages bilingues, du rapport de la Commission nationale des droits de l’Homme et des Libertés (Cndhl).  Comme le souhaite la loi N° 2004/016 du 22 Juillet 2004 qui la fonde, la Cndhl se veut une « institution indépendante de consultation, d’observation, d’évaluation, de dialogue, de concertation, de promotion  et de protection en matière des droits de l’Homme et des libertés, la Cndhl étend son action sur l'ensemble du territoire national ». Mais à côté de tout ceci, le rapport d’Amnesty international, cette organisation non gouvernementale, sorte d’observatoire des droits humains à travers le monde, se pose souvent comme le veilleur mais parfois aussi comme un instigateur d’un vent de « droits-de-l’Hommisme », c'est-à-dire de défense de droits de l’homme mal acceptés par les valeurs africaines et même les autorités tout comme la plus grande partie des citoyens. Tel est le cas, des LGBTI, c'est-à-dire les droits des lesbiennes, des gays, des personnes bisexuelles et des transgenres Intersexuels. En sus, il y a également de la matière dans le Rapport sur les pratiques du pays en matière des Droits humains au Cameroun que dresse, comme chaque année, le Bureau pour la démocratie, les Droits humains et le travail du
Département d’État des États-Unis.

DROITS DES HOMOSEXUELS :LE CAMEROUN ET LA CNDHL DISENT NON, AMNESTY ET LES USA MARQUENT LEUR DÉSOLATION

Le rapport du Minjustice se veut très clair une fois de plus sur la question. On peut lire en pages 13 et 14 qu’après que le Cameroun se soit présenté le 1er  mai 2013, devant le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, dans le cadre du second cycle de l’Examen Périodique Universel et malgré les récriminations du Haut -Commissaire aux Droits de l’Homme de l’ONU, Mme Navy Pillay en visite en juillet 2013 au Cameroun, « l’abolition de la peine de mort - la dépénalisation de l’homosexualité et de la diffamation par voie de Presse » font partie des recommandations rejetées par l’Etat du Cameroun. L’ONG Amnesty marque sa déception en regrettant que : « le gouvernement [camerounais] ait proposé de modifier le Code pénal afin que les personnes déclarées coupables de relations homosexuelles puissent être condamnées à de fortes amendes et à des peines de réclusion pouvant atteindre 15 ans. Cette année encore, des hommes reconnus coupables de relations entre personnes du même sexe ont été condamnés à des peines dont certaines allaient jusqu’à cinq années d’emprisonnement. ». Le Département d’Etat des Etats Unis quant à lui note dans son rapport (p.33) qu’ « au cours de l'année, les autorités n'ont pas hésité à appliquer la loi en arrêtant, en jugeant, en emprisonnant et en battant des présumés lesbiennes et homosexuels ». Au milieu de toutes ces positions, la Cndhl dit qu’ « elle s’aligne sur la perception culturelle de la pratique homosexuelle qui n’est pas admise par la société camerounaise parce que contraire aux religions et au droit positif camerounais » (p.89). Mais la Cndhl d’ajouter que « contrairement à ce que Amnesty affirme, les LGBTI ne sont pas systématiquement réprimés du fait de leur orientation sexuelle, et encore moins traqués
dans leur domiciles au Cameroun
».

PRISONNIERS « POLITIQUES »: L’ETAT LÂCHE PRISE, LE DÉPARTEMENT D’ETAT CONFIRME


Le rapport américain se veut prudent :« le 17 décembre, la Cour Suprême a rejeté l'appel du ressortissant français Thierry Michel Atangana, qui avait été déclaré coupable en 2012 et condamné à 20 ans de prison pour détournement de fonds publics. Beaucoup d'ONG considéraient que les raisons de l'arrestation de Thierry Michel Atangana étaient politiques », peut-on y lire.  Dans les catégories, personnes détenues « politiques », les américains parlent aussi de l’ancien ministre Marafa Hamidou Yaya. Le rapport d’Amnesty ajoute l’affaire Paul Eric Kingue, l’ancien maire de Penja qui a saisi le Comité des droits de l’Homme de l’ONU. Le rapport de l’Etat camerounais de son côté, reconnait que le silence a été gardé face à l’enquête du Groupe de Travail du Conseil des Droits de l’Homme sur la Détention Arbitraire qui  le 13 novembre 2013, « a rendu son Avis sur la situation de Monsieur Michel Thierry Atangana Abega qui avait fait l’objet d’un Appel Urgent transmis au Gouvernement courant août 2013 » (p.16). En l’absence de la réponse gouvernementale, le rapport du Minjustice note que « Le Groupe de Travail a recommandé de libérer M. Atangana, d’enquêter sur cette privation de liberté, de poursuivre et de sanctionner les auteurs des violations déplorées et d’accorder une indemnisation à M. Atangana en réparation des préjudices subis ». De fait, le rapport de la Cndhl ajoute que l’Etat camerounais, qui disposait de 60 jours pour répondre ne l’ayant pas fait, a laissé que ce Groupe ne travaille ne tire ses conclusions que « sur la seule base des informations communiquées par M. Thierry Michel Atangana ».

LIBERTÉ DE PRESSE ET D’EXPRESSION : L’ETAT SE FÉLICITE, LA CNDHL REPROCHE LES JOURNALISTES, LES ETATS UNIS ET AMNESTY DÉNONCENT LES RESTRICTIONS

En 2013, est-il écrit dans le rapport du Minjustice (en page 57),  le renforcement des capacités des acteurs du secteur de la communication ainsi que les mesures prises pour renforcer l’accès à l’information et aux technologies de l’information et de la communication traduisent les efforts faits pour améliorer la garantie de la liberté d’expression et de communication. Au soutien de cela, l’Etat évoque l’aide versée à la presse privée, la mise sur pied du Conseil National de la Communication ou encore les séminaires de formations des journalistes. Et le rapport de conclure que « Au regard de ce qui précède, si l’on peut saluer les efforts du Gouvernement en faveur de la presse, il faudrait toutefois souhaiter le renforcement de l’appui des pouvoirs publics aux organes de presse et aux journalistes. A ce titre, il est attendu du CNC qu’il joue pleinement son rôle dans la régulation du secteur de la communication et du Gouvernement qu’il s’attèle à la mise en œuvre des recommandations issues des Etats Généraux de la Communication ». De son côté, la Cndhl déplore dans son rapport (p.40 et 41) que les journalistes soient la cause de la régression de la liberté de presse du fait « du manque de professionnalisme, de la tolérance administrative ou encore du manque d’éthique et de déontologie ».
A l’opposé de tout cela, le rapport américain décrit : « Au cours de l’année, les libertés d’expression et de la presse ont été restreintes (…) ».  Il ajoute que « Des autorités ont fréquemment menacé, arrêté, harcelé et refusé d’accorder un traitement égal à des personnes ou des organisations ayant critiqué les politiques gouvernementales ou ayant exprimé des opinions politiques différentes de la politique gouvernementale ».  Et le rapport de terminer de noter que « Les personnes qui critiquaient les autorités gouvernementales en public et en privé ont parfois subi des représailles». C’est le même son de cloche que laisse entendre le rapport d’Amnesty qui note pour sa part que : « Plusieurs journalistes et détracteurs du gouvernement ont été arrêtés et placés en détention ; certains ont été libérés au cours de l’année ». L’ONG cite plusieurs exemples à l’instar de celui de Bertrand Zépherin Teyou, « un écrivain arrêté en novembre 2010 au moment du lancement de son livre au sujet de l’épouse du président, a été remis en liberté le 29 avril », peut-on lire. Il aurait ensuite été déclaré coupable d’« outrage à personnalité » par le Tribunal de première instance de Douala et condamné à une peine d’amende de 2 .030.150 francs CFA (environ 4.425 dollars des États-Unis) ou de deux ans d’emprisonnement.

DÉTENTIONS ARBITRAIRES, CONDITIONS DE DÉTENTIONS,TORTURES ET AUTRES


La Cndhl qui a pour attributions de descendre dans les lieux de détention comme la prison et les « cellules » des commissariats et postes de gendarmerie est claire dans son rapport sur 2013. Malgré le problème financier que connait le système pénitentiaire camerounais, le personnel de l’administration carcérale doit présenter plus de « moralité », de protection, de formation continue entres autres…
Pour le département d’Etat américain, « Les conditions carcérales sont demeurées difficiles et délétères » en même temps « la tenue des registres carcéraux laissait à désirer, bien que le ministère de la Justice ait entrepris l’informatisation des dossiers judiciaires ». Il ajoute que « la loi limite à 18 mois la durée de la détention provisoire, mais de nombreux détenus ont attendu pendant des années avant qu'on ne fixe la date de leur procès ». Pendant une conférence de presse tenue le 2 juillet, Mme Navi Pillay, le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les Droits de l’homme a déclaré que « 60% des prisonniers étaient en détention provisoire ».
De son côté, l’Etat camerounais est serein. Son rapport précise que  des mesures ont été prises en 2013 pour sauvegarder le droit à la vie, le droit à l’intégrité physique et morale, le droit à la liberté et à la sécurité ainsi que celui de ne pas être soumis à la torture. Celles-ci sont relatives aux actions de renforcement des capacités des personnels chargés de l’application de la loi (section 1) et aux sanctions prises contre ceux des personnels qui ont violé ces droits. Le rapport du Minjustice note que plus de 10 policiers ont été sanctionnés, que les juges militaires ont sanctionnés au moins 30 militaires et ce, quelques fois  de manière définitive. Il faut croire que le reporting est meilleur lorsqu’il y a contrariété d’observateur.

Daniel Ebogo



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