Pascal Jogo : « Peines alternatives introduites dans le code pénal camerounais »

Les peines alternatives, l’avocat Pascal Jogo en parle. Y jetant un regard de praticien, outre leur objectif principal qui est le désengorgement du milieu carcéral, il relève leur portée socio juridique quant aux trois  autres buts poursuivis: éviter le prononcé des peines d’emprisonnement de courte durée qui ne s’avèrent pas indispensables, sanctionner le condamné en lui faisant effectuer une activité au profit de la société dans une démarche réparatrice, enfin, impliquer la collectivité dans le dispositif de réinsertion sociale des condamnés.

Près de 50 ans après l’adoption du code pénal de 1967, le Cameroun a décidé de revisiter, de moderniser et d’actualiser son arsenal répressif. C’est ainsi qu’au nombre des innovations majeures de la loi n° 2016-7 du 12 Juillet 2016 portant nouveau code pénal, figurent  le travail d’intérêt général et la sanction-réparation.

L’article 18, alinéa 1  de ce code dispose que « Les peines alternatives sont le travail d’intérêt général et la sanction-réparation ». Tandis que L’article 26 apporte des précisions sur les conditions d’application de ces peines.

Maître, de manière simple que faut-il entendre par travail d’intérêt général et sanction-réparation ?

Merci, M. Zogo, de nous donner l’occasion de parler de ces deux peines alternatives qui sont nouvelles dans notre arsenal juridique.

En effet, l’article 26(1) relatif au travail d’intérêt général dispos que « le travail d’intérêt général est une peine applicable aux délits passibles d’un emprisonnement inférieur à deux (02) ans ou d’une peine d’amende. Cette peine est exécutée en faveur, soit d’une personne morale de droit public, soit d’une personne morale de droit privé chargée d’une mission de service public, soit d’un organisme habilité à mettre en œuvre des travaux d’intérêt général ».

On peut donc simplement retenir que le travail d’intérêt général ou travail d’utilité publique ou encore travail d’utilité collective tel que connu dans d’autres systèmes juridiques est une mesure qui permet au condamné d’effectuer des travaux utiles à la communauté entière, en faveur des personnes déterminées par la loi et sans aucune rémunération, en lieu et place d’une peine d’emprisonnement ou d’amende.

Pour ce qui est de la sanction-réparation, l’article 26-1 (1) dudit code s’est limité à dire qu’ « elle consiste dans l’obligation, pour le condamné, de procéder à la réparation matérielle du préjudice subi par la victime dans le délai  et selon les modalités fixées par la juridiction compétente ». Il est ici question, pour la personne déclarée coupable, de procéder à la réparation en nature ou par équivalent, du tort causé à la victime de l’infraction aux lieu et place de l’emprisonnement ou de l’amende. C’est donc dire que la sanction-réparation dépend de la nature de l’infraction commise et du préjudice subi par la victime.

Comment peuvent s’appliquer ces deux nouvelles peines ?

Sans être identiques, les conditions d’application desdites peines sont similaires à plusieurs égards. En effet la lecture combinée des articles  26(1 et 3) et des articles 26-1 {(1),(2)} permet d’affirmer qu’elles ne peuvent être prononcées que pour des délits passibles d’un emprisonnement inférieur à 2 ans ou d’une peine d’amende et qu’elles ne peuvent faire l’objet de sursis.

S’agissant du travail d’intérêt général, l’alinéa 2 de l’article 26 précise qu’il est prononcé par la juridiction de jugement à la place de l’emprisonnement ou de l’amende comme la sanction-réparation, mais sur consentement préalable du prévenu.

Autrement dit, le consentement préalable du prévenu apparait comme l’une des conditions de sa mise en œuvre.

Enfin, l’alinéa 3 de l’article 26 sus-évoqué permet à la juridiction saisie  de fixer la durée du travail d’intérêt général qui ne peut être inférieure à deux cent (200) heures ou supérieure à 240(deux cent quarante) heures.

Pour  ce qui est de la sanction-réparation, l’article 26-1 alinéa 3 précise que le juge prévoit la durée de l’emprisonnement encouru en cas d’inexécution de la peine de sanction-réparation dans sa décision.

Quelle est la pertinence de cette application dans le contexte socio-juridique camerounais actuel ?

Dans le contexte socio-juridique camerounais, ces mesures sont absolument les bienvenues. En effet, le travail d’intérêt général et dans une certaine mesure la sanction-réparation, outre leur objectif principal qui est le désengorgement du milieu carcéral poursuivent trois autres  objectifs :

- Permettre aux Tribunaux d’éviter de prononcer des peines d’emprisonnement de courte durée qui ne s’avèrent pas indispensables eu égard à la personnalité du condamné et à la gravité des faits qui lui sont reprochés, de tels  emprisonnements contribuant souvent à causer plus de tort à ce dernier qu’à le resocialiser.

- Sanctionner le condamné en lui faisant effectuer une activité au profit de la société, dans une démarche réparatrice, tout en lui laissant la possibilité d’assumer ses responsabilités familiales, sociales et matérielles.

- Enfin, impliquer la collectivité dans un dispositif de réinsertion sociale des condamnés.

Néanmoins, les objectifs principaux de ces peines demeurent le désengorgement du milieu carcéral camerounais et la resocialisation des délinquants, comme le veut la défense sociale nouvelle prônée par  Marc Ancel. En effet, un rapport de l’institut national de la statistique (INS) qui a pris en compte l’ensemble des 76 prisons du Cameroun en 2013, révélait que les prisons fonctionnelles qui doivent accueillir près de 17.000 détenus contenaient en 2013, 28.000 âmes.

Le même rapport de l’INS révélait au 31 Décembre 2013 que 16.814 personnes sur les 28.000 étaient placées sous mandat de détention provisoire dans les prisons du Cameroun, ce qui  ne manquait pas de liens avec l’inexistence des peines alternatives et les lenteurs judiciaires.

Il y aura néanmoins lieu de constater que l’objectif de désengorgement des prisons sera quelque peu freiné par le fait qu’une bonne partie des délits passibles de moins de 2 ans d’emprisonnement ne pourront être réparés matériellement  du fait de la loi qui les en exclut ou de l’aptitude  à la réparation du condamné souvent insolvable, ne serait-ce qu’à l’immédiat.

les textes d’application sont attendus pour une meilleure implémentation. Pensez-vous que cela se fasse dans les prochains jours ? Que faut-il attendre ?

Il y a lieu de penser que les textes d’application seront pris imminemment .

D’abord parce que les mesures alternatives visées, tout comme l’entier code pénal, sont déjà applicables depuis leur promulgation. Or l’article 26 alinéa 6 précise que  « la liste des travaux d’intérêt général est fixée par un texte particulier ». Ce qui  veut clairement dire que tant  que les travaux d’intérêt général ne seront pas déterminés, cette mesure alternative demeurera lettre morte, rendant vain, l’effort de resocialisation et de désengorgement des prisons fourni jusqu’alors !

Ensuite, parce que le processus d’établissement de la liste de ces travaux d’intérêt général a d’ores et déjà été enclenché par Monsieur le Garde des sceaux qui, à l’occasion de la réunion annuelle des Chefs de cours, à mis la réflexion sur la question en priorité et prescrit les consultations et recherches devant aboutir d’urgence à l’établissement de listes collant à nos réalités locales !

Logiquement, l’on s’attend à ce que  contrairement à certains textes d’application qui se font attendre trop longuement et  paralysent le texte principal, les textes d’application des mesures alternatives seront pris dans de meilleurs délais, et sortant d’un processus  d’élaboration très assis, ils combleront tous les vides laissés par la loi en déterminant le plus largement possible l’éventail des travaux forcés des bénéficiaires et en créant les services nécessaires à leur application.

Que faut-il entendre par réparation matérielle dans la peine de sanction-réparation ?

Pour ce qui est de la réparation matérielle, il ressort de l’article 26-1 du texte sus-cité qu’ « elle consiste dans l’obligation pour le condamné de procéder à la réparation matérielle du préjudice suibi par la victime dans le délai et selon les modalités fixées par la juridiction compétente ».

Une fois de plus cette disposition ne permet pas de cerner la notion en question, ce qui rend nécessaire le recours au droit comparé.

En effet, la loi française du 5 Mars 2007 relative à la prévention de la délinquance traitait déjà amplement de la sanction-réparation ! Cette peine y est perçue comme hybride, de par la difficulté à définir sa nature civile ou pénale. L’opposition des deux termes antonymes laisse curieux, car le terme « sanction » est plutôt répressif et pénal alors que le terme « réparation » fait penser au contraire à  une mesure civile, d’où la notion de réparation adoptée par le législateur camerounais « … réparation matérielle  du préjudice subi par la victime ».

Dès lors l’on pourrait aisément affirmer que la réparation matérielle consiste dans l’obligation pour le condamné, de procéder à l’indemnisation du préjudice causé à la victime en nature ou par équivalent.  Pour dire que cette réparation peut consister en une indemnisation sous forme pécuniaire, ou en une obligation de faire comme par exemple réparer  un bien dégradé.

Pensez-vous que les exclusions de certaines personnes du bénéfice des deux nouvelles peines alternatives sont pertinentes ?

De toute évidence, les peines édictées par le législateur de 2016 à l’article 26 ne bénéficient pas à tous les condamnés pour délits punissables d’une peine d’emprisonnement de moins de 2 ans.

En effet, il ressort de l’article 26-3 du même texte que les peines alternatives prévues aux articles 26 et 26(1) ne sont pas applicables aux auteurs d’infractions à la législation sur les armes, de même qu’aux auteurs d’offenses sexuelles et aux auteurs d’atteinte à l’intégrité corporelle.

Ainsi, les condamnés pour outrage à la pudeur (article 29) ; mutilation génitale (article 277) ; port dangereux d’arme (article238) ; détention et port d’arme (article237)  entre autres ne pourront pas bénéficier desdites peines bien que lesdites infractions dans leur forme simple soient punies de peines d’emprisonnement de moins de deux ans.

De façon manifeste le législateur pénal, eu  égard au contexte actuel marqué par la recrudescence du  terrorisme, des crimes rituels, des offenses sexuelles, la banalisation de la vie etc… a tenu à marquer son indignation et son rejet absolu de ces comportements et pratiques en excluant expressément leurs auteurs du bénéfice des peines alternatives. En cela le rôle répressif et sanctionnateur du droit pénal a été mis en avant par rapport à celui de resocialisation, pour qu’il n’y ait pas de pitié pour ceux  qui n’ont pas d’égards pour les valeurs sociales visées et protégées.

Mais l’on peut se demander, sur le terrain de la criminologie, si la récupération ou la resocialisation du délinquant n’est pas plus noble que la vengeance, surtout quand on sait qu’elle peut, comme décrié plus haut, endurcir le délinquant simplement primaire et l’installer dans une spirale infernale du crime, au lieu de l’en dissuader.

Propos recueillis par Willy Zogo

 

  • Loi n°2016-7 du 12 Juillet 2016 portant code pénal.
  • Nouveau code pénal (français) promulgué le 22 Juillet 1992, entré en vigueur le 1er Mars 1994.
  • Loi (française) n° 2007 297 du 5 Mars 2007 relative à la prévention de la délinquance.
  • Décret n° 2016- 319 du 12 Juillet 2016 portant partie réglementaire du code pénal définissant les contraventions.
  • Rapport sur la situation de référence des indicateurs de la chaine pénale au Cameroun réalisé avec l’appui financier de l’Union Européenne de Novembre
  • Jeune Afrique en ligne : www.jeuneafrique.com du 22 Juin 2016.   Cameroun : ce qui va changer dans le code pénal
  • wikipédia.org /- la sanction réparation
    • le travail d’intérêt général
  • actujuridicque.com / -  Nouvelle peine : la sanction-réparation.
  • maisonsdejustice.be / - le travail d’intérêt général.
  • cameroun-info.net / - Prisons surpeuplés : le Cameroun vice-champion du monde.

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