Tribunal: Le doute profite à l’accusé

Le 11 janvier 2013, le Tribunal de Grande Instance de Yaoundé, siégeant en matière criminelle, a rendu sa décision dans une affaire de coaction d’assassinat. Les quatre coaccusés ont ainsi été déclarés non coupables par le juge alors que les débats ont tourné autour de la véracité des faits qui incriminaient ces derniers.

Trois ans après la survenance des faits et trois renvois avant le délibéré,  le juge du Tribunal de Grande Instance de Yaoundé a rendu son jugement, dans l’affaire d’assassinat  en coaction opposant dame Afa à Dame Edimbi et quatre autres présumés coauteurs. Le juge a statué que les personnes soupçonnées d’avoir assassiné M. Belinga  étaient non coupables pour faits non établis. Il a par ailleurs ordonné leur relaxe. Il a mis les dépens à la charge de la justice et a prévenu les parties qu’elles disposaient de dix jours pour faire appel de la décision. Ce jugement a été rendu à la suite de la contestation, pendant les débats, des faits tels qu’ils avaient été présentés par l’accusation.
LES FAITS
L’histoire remonte à la nuit du 02 au 03 novembre 2010. M. Belinga est assassiné à son domicile sis au quartier Emombo à Yaoundé. D’après le récit de dame Afa, épouse du défunt,lors de  l’enquête préliminaire, le couple vivait dans la maison avec le petit frère de la femme. Le jour du drame, tard dans la nuit, le jeune homme entend des bruits. Il se lève, prend une machette. En entrant dans le salon, il est assommé pour ne se réveiller qu’au moment où son beau-frère avait déjà été agressé. Mais, avant de perdre connaissance, il a eu le temps de remarquer que l’un des assaillants avait une balafre à la joue gauche. De son côté, Dame Afa, qui a  suivi les mêmes bruits  ,réveille son mari. Ils se dirigent tous deux vers le salon alors même que  les agresseurs, parmi lesquels, Dame Edimbi,  étaient déjà sur les lieux.
Dame Afa  décide alors de fuir pour rentrer se cacher dans leur chambre, laissant son mari seul face aux assaillants. C’est alors qu’il a été poignardé par ceux-ci. Après leur départ et constatant que son époux baignait dans le sang, elle s’est employée à nettoyer sa blessure et le sol avant d’appeler le frère de la victime pour de transporter ce dernier à l’hôpital. Malheureusement, M. Belinga décèdera sur la route de l’hôpital. La dame va alors signaler le drame à la police qui va ouvrir des enquêtes.

LES ENQUETES

Sur les dires de la partie civile, la police a interpellé Dame Edimbi le 03 novembre 2010 au matin. Ce fut au tour de Sieur Fotso, le 06 novembre,  Sieur Gwet, le 10 novembre et  puis Sieur Enoga quelques jours plus tard. Les prévenus seront interrogés avant d’être conduits à la prison centrale de Nkondengui en préventive, en attendant leur jugement.

LE DEROULEMENT DU PROCES
L’audience du 16 novembre 2012 était consacrée aux débats au fond. Chacun des accusés ayant décidé de plaider non coupable, ils ont tous fait une déclaration sous serment conformément aux articles 420 et 366 du Code de Procédure Pénale. Selon le premier article, « La procédure devant le Tribunal de Grande Instance est celle suivie devant le Tribunal de première Instance telle que définie aux articles 307 à 389 ». A l’article 366 du même texte, on peut ainsi lire que « (1) Si le tribunal estime que des éléments de preuve suffisants sont réunis pour que le prévenu puisse présenter sa défense, il lui offre trois options : a) faire sous serment toute déclaration pour sa défense. b) ne faire aucune déclaration. c) déposer comme témoins sous serment. (2) Le Président informe le prévenu que s’il choisit de ne rien dire ou de faire une déclaration sans serment, il ne lui sera posé aucune question et que s’il décide de déposer sous serment, le ministère public, la partie civile et le tribunal pourront lui poser des questions. (3) Le Président informe en outre le prévenu que les déclarations faites sous serment ont plus de force probante. (4) Le Président demande au prévenu s’il a des témoins à faire entendre ou d’autres éléments de preuve à présenter ».
Dans l’espèce, la première à être appelée à la barre est Dame Edimbi. Dans sa version des faits, elle reconnais avoir été  l’amante de M. Belinga, jusqu’à ce qu’elle découvre qu’il était marié et ne mette un terme à leur relation. Entre temps, son épouse, Dame Afa, qui a tout découvert de cette liaison  prodiguait à son encontre des outrages et des menaces. A ce titre, Dame Edimbi avait porté plainte et une première  convocation de police sera servie à Dame Afa ; convocation à laquelle elle n’a pas daigné déférer. Suite à d’autres menaces de la part de Dame Afa, la prévenue porte plainte une seconde fois et reçoit une convocation qu’elle  remet à son amant le 02 novembre 2010, afin qu’il la remette à sa femme. A la question du procureur de savoir où elle était dans la nuit du 02 au 03 novembre 2010, Dame Edimbi a répondu qu’elle était sortie avec une connaissance et qu’elle était rentrée saoule, jusqu’à ce qu’elle soit interpellée le lendemain en matinée chez elle ; elle a nié être allée chez son amant, vu qu’elle ne connaît pas son domicile, donc, elle ne reconnaît pas avoir tué ni même pensé à monter un « coup » pour tuer son ancien amant et elle n’a connu les différents accusés que parce qu’ils sont tous jugés pour la même affaire.
Les trois autres prévenus ont été successivement appelés à la barre. Tout comme Dame Edimbi,  ils avaient un alibi la nuit du drame. Ils ont affirmé  ne pas connaitre dame Edimbi. Le point commun entre les trois coaccusés : ils sont  vendeurs au marché d’Essos. De plus, M. Fotso  et M. Gwet font partie de la même obédience religieuse. M. Fotso ajoute que c’est pendant sa garde à vue que la police a fouillé son répertoire téléphonique et est tombé sur les surnoms de ses collègues, et l’ont interrogé sur eux. C’est ainsi qu’il a vu arriver tour à tour au commissariat, Gwet et Enoga.
Le prévenu Gwet dit avoir signé les aveux accablants sous l’effet de la torture.Lors du « cross examination » (contre-interrogatoire). Le procureur de la République lui a demandé si la deuxième profession qu’il exerce dans le marché avec ses complices n’est pas celle d’arnaqueurs, de gros bras, de personnes à qui on peut faire appel lorsqu’on veut régler les comptes d’une autre personne et que l’activité commerciale qu’ils exercent n’est qu’une couverture ? Il  a répondu par la négative.
A la question de son avocat de savoir s’il confirme les aveux  selon lesquels ce sont eux qui ont assassiné M. Belinga, il a répondu que, quand il a été amené au commissariat, les officiers de police judiciaires (OPJ) lui ont raconté l’histoire telle qu’ils la voulaient, l’ont couché par écrit puis lui ont demandé de signer. Mais il a refusé ; et face à son refus, il a été passé à la « balançoire » - une variante des tortures prodiguées aux gardés à vue - jusqu’à ce qu’il accepte de signer. Par ailleurs, le sieur Enoga dit avoir été arrêté à cause de sa cicatrice à la joue, vu que le beau-frère du défunt avait relevé qu’avant de perdre connaissance, il a remarqué qu’un des agresseurs avait une balafre à la joue gauche. Pourtant, sa cicatrice à lui se trouve à la joue droite
La fin des déclarations Enoga ont marqué la fin des débats. A noter que Dame Afa n’a pas comparu, ainsi que son frère. Leurs déclarations ont été retenues pendant l’enquête. De même, aucun autre témoin n’a été appelé à la barre.

LES CONCLUSIONS ET REQUISITIONS DU MINISTERE PUBLIC
Lors de son réquisitoire, le procureur de la République a  balayé du revers de la main l’argument des aveux sous la torture, un argument de poids pour la défense. Ce genre d’argument, selon lui, remettrait en cause le travail très important réalisé par les OPJ durant la phase d’enquête et sans laquelle la justice ne fonctionnerait pas convenablement. Concernant directement l’affaire, il a estimé qu’il s’agit ni plus ni moins que de jalousie de la part de Dame Edimbi qui n’a pas supporté la rupture d’avec M. Belinga et a décidé de se venger en l’assassinant à l’issue d’une préméditation préparée minitueusement avec les coaccusés. Pour le ministère public, les  aveux  signés par les coaccusés sont une preuve irréfutable de leur culpabilité.
De plus, l’un des prévenus dans cette affaire a été reconnu par le beau-frère de la victime et le lien entre eux ne fait l’objet d’aucun doute. Pour ces raisons, le procureur a demandé à la cour de punir les coaccusés avec une extrême sévérité en les condamnant à la peine maximale tel que le dispose le code pénal en son l’article 276 du code pénal: « (1) Est puni de mort le meurtre commis soit : (a) avec préméditation ; (b) par empoisonnement ; (c) pour préparer, faciliter ou exécuter un crime ou délit, ou pour favoriser la fuite ou assurer l’impunité des autre ».

Ranèce Jovial Ndjeudja P.


LE PROBLEME JURIDIQUE

Le tribunal de Grande Instance de Yaoundé siégeant en matière criminelle a rendu sa décision dans cette affaire en décidant de relaxer les prévenus pour faits non établis. Cette décision  laisse entrevoir clairement que les faits qui les  incriminaient n’ont pu être prouvés. En effet, s’il y a un fait incontournable à ce niveau, c’est le décès du M. Belinga, des suites d’un coup de couteau. Cependant, ce point reste la seule certitude que l’on peut relever, car, pour ce qui est des circonstances qui ont conduit à cet assassinat, c’est l’incertitude totale. Et en matière pénale, le doute profite à l’accusé. La procédure au Cameroun étant désormais accusatoire, depuis le nouveau Code de Procédure Pénale, il incombe désormais à l’accusation de prouver les allégations avancées, au nom du principe de la présomption d’innocence. D’ailleurs, le Code de Procédure Pénale dispose à son article 307 que « la charge de la preuve incombe à la partie qui a mis en mouvement l’action publique ». Ceci dit, en cas de doute, notamment lorsque la preuve des faits allégués n’est pas indiscutable, lorsque les preuves sont insuffisantes, lorsque les faits eux-mêmes ne sont pas plausibles, ou lorsque la partie défenderesse réussit à apporter toute preuve contraire, le prévenu en profite et le juge peut décider de le libérer des charges qui pèsent sur lui. Il revient alors au procureur et aux officiers et agents de police judiciaire de recueillir suffisamment d’éléments de preuve afin qu’éclate la vérité et que les innocents ne soient envoyés en prison. Cependant, il est clair que c’est le juge qui décide souverainement tel que le relève l’article 310 du Code de Procédure pénale selon lequel « (1) le juge décide d’après la loi et son intime conviction… (3) Elle (sa décision) ne peut être fondée que sur des preuves administrées au cours des débats ».
Dans le cas d’espèce, les débats en audience ont permis de comprendre que des faits autres que ceux présentés par l’accusation et soutenues par les avocats des coaccusés auraient pu survenir, et dans une telle configuration, les accusés ne seraient pas les mêmes. Quoi qu’il en soit, les quatre prevenus ont été libérés et il est clair que les véritables coupables sont encore libres. Laissera-t-on ce crime impuni ?

LEXIQUE

Accusé :Personne soupçonnée d’un crime et traduite, pour ce fait, devant la Cour [ou le tribunal], afin d’y être jugée (Lexique des termes juridiques).

Preuve : Dans un sens large, établissement de la réalité d’un fait ou de l’existence d’un acte juridique. Dans un sens plus restreint, procédé utilisé à cette fin (Lexique des termes juridiques).

Examination-in-chief:
C’est l’interrogatoire d’un témoin par la partie qui l’a fait citer (Article 331 (1) du Code de Procédure Pénale).

Cross-examination
: C’est l’interrogatoire d’un témoin par une partie autre que celle qui l’a fait citer (Article 331 (2) du Code de Procédure Pénale).

Re-examination
: C’est l’interrogatoire, après la « cross-examination », d’un témoin par la partie qui l’a fait citer (Article 331 (3) du Code de Procédure Pénale).

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