PROGRAMMES D’ORDINATEUR

Les multiples visages de la protection juridique

Christophe Seuna

Expert judiciaire en droit de propriété intellectuelle et des nouvelles technologies Titulaire de la Chaire Unesco en droit de la propriété intellectuelle de l’Université de Yaoundé II

Au Cameroun, contre des atteintes diverses que facilitent les nouvelles technologies, les programmes d’ordinateur peuvent être protégés par de nombreuses mesures aussi bien techniques que  juridiques.

Comment les programmes d’ordinateur sont-ils protégés au Cameroun ? La question s’explique par l’importance de plus en plus grande que représentent ces produits informatiques sur le plan économique. Mais aussi par les atteintes qui sont ou qui peuvent leur être portées.

Ensemble d’instructions qui permettent à un ordinateur d’accomplir une tâche, un programme d’ordinateur peut servir à résoudre de nombreux problèmes : traitement de textes, comptabilité, gestion des ressources humaines, gestion de la relation clients, etc. Mais sa qualité n’est pas exclusivement fondée sur son utilité. Il a aussi une valeur d’échange, car il peut être commercialisé. Il occupe une place dans le patrimoine des entreprises qui s’informatisent ou qui les produisent. Or, si les logiciels sont convoités pour leur valeur d’usage et d’échange, les nouvelles technologies de l’information facilitent les actes malveillants : reproduire à l’identique un logiciel (copie servile), utiliser un logiciel dans des conditions non autorisées, adapter un logiciel, élaborer un logiciel à partir de l’étude préalable ou des analyses fonctionnelles d’un autre logiciel (plagiat), diffuser un logiciel sous le nom d’un autre logiciel (atteinte à la marque).

 

Au Cameroun, deux moyens peuvent être mis en œuvre contre les atteintes aux logiciels : la protection technique et la protection juridique.

La protection technique est assurée par des technologies, des dispositifs ou des composants qui permettent de contrôler l’accès à un logiciel. Elle s’opère par l’introduction dans un logiciel des « verrous » (tels qu’un mot de passe) qui empêchent ou limitent les atteintes. Cette réponse à la machine par la machine est coûteuse pour le producteur des logiciels. Elle rend difficiles les atteintes. Elle n’est pas toujours efficace, puisque l’on arrive souvent à neutraliser les mesures techniques.

Certaines protections juridiques des logiciels reposent sur l’attribution d’un droit de propriété intellectuelle. Selon la loi du 19 décembre 2000 relative au droit d’auteur et aux droits voisins, un logiciel peut être protégé par le droit d’auteur comme œuvre littéraire . Au même titre qu’un roman, un conte ou tout autre œuvre de langage. Lorsqu’un logiciel remplit les conditions de protection (création et originalité), sa réservation est assurée par un droit exclusif qui fait du titulaire du droit d’auteur la personne qui a seule le pouvoir de l’utiliser. Il peut ainsi interdire une variété d’actes relatifs au logiciel protégé : reproduction, communication au public, transformation, distribution (vente, location, échange, etc.), publication sans le nom du développeur du logiciel, etc. La loi sanctionne la contrefaçon par l’emprisonnement et l’amende. Elle renforce les mesures techniques en réprimant le « déplombage » des logiciels, à savoir la neutralisation des mesures techniques dont ils sont l’objet. Outre le droit d’auteur, un logiciel peut être placé sous la tutelle du droit sur une marque. Le dépôt de la marque d’un logiciel confère au déposant le droit exclusif d’utiliser non pas le logiciel lui-même, mais cette marque déposée par laquelle on le distingue des logiciels des autres entreprises . Un logiciel peut être protégé par l’exclusivité que confère le droit spécial des dessins et modèles industriels . Ce monopole porte sur l’interface graphique du logiciel, composée de symboles qui permettent le dialogue entre l’ordinateur et l’utilisateur. Un programme d’ordinateur en lui-même ne peut être protégé par le monopole que confère un brevet d’invention. Il est exclu de la catégorie des inventions brevetables .

De nombreuses protections juridiques ne sont pas spécialement basées sur un droit de propriété intellectuelle.

Avec ses sanctions (emprisonnement, amende, etc.), le Code pénal vole au secours des logiciels à travers plusieurs délits : vol, destruction de biens, violation de secret professionnel, vol d’usage, abus de confiance, escroquerie, etc. Les infractions telles que le vol et les délits qui sont voisins (escroquerie, abus de confiance, etc.) s’appliquent-elles à une chose aussi immatérielle que le logiciel ? La réponse est affirmative, car le Code pénal ne fait pas de discrimination entre choses tangibles et choses intangibles.

L’on peut aussi recourir au droit de la responsabilité civile. Qu’un logiciel soit protégé ou non par un droit de propriété intellectuelle, l’action en concurrence déloyale permet de sanctionner un concurrent qui, par un acte quelconque, viole le devoir d’honnêteté dans les affaires : dénigrement d’un logiciel, acte qui crée la confusion entre les logiciels de deux entreprises, publicité mensongère, etc. La sanction civile consiste dans la réparation du préjudice subi : paiement des dommages et intérêts, cessation de l’acte déloyal, etc. Même en dehors de tout rapport de concurrence entre la victime et l’auteur de l’acte, l’action en responsabilité civile permettra de sanctionner les agissements parasitaires, comportements par lesquels, sans contrepartie, l’on a tiré profit des investissements logiciels ou de la notoriété d’un producteur de logiciels. Il en est ainsi, par exemple, de la commercialisation d’un logiciel qui copie servilement un logiciel dont le succès commercial est certain, mais qui n’est pas protégé par le droit d’auteur (sinon, il y a contrefaçon). Sur le terrain de la responsabilité civile, la protection des logiciels peut être organisée volontairement par un contrat relatif au logiciel (licence d’utilisation de logiciel, contrat de développement de logiciel, contrat de travail, etc.), à l’aide de clauses fort variées : clause de confidentialité, clause d’exclusivité ou d’usage personnel, clause de non-concurrence, clause de non-recrutement, etc.). Cette protection contractuelle ne procure pas une très grande sécurité juridique. Elle est limitée aux parties. L’on est désarmé contre un tiers qui utilise ou divulgue le logiciel.

Ch. Seuna, L’informatique et la nouvelle loi camerounaise sur le droit d’auteur et les droits voisins, Thèse de doctorat d’Etat en droit privé, Université de Yaoundé II, 2005. V. aussi du même auteur : La protection du logiciel par le droit d’auteur au Cameroun, Thèse de doctorat de 3e cycle en droit privé, Université de Yaoundé, 1991.

V. annexe III de l’Accord de Bangui.

V. annexe IV de l’Accord de Bangui.

V. annexe I de l’Accord de Bangui.

CHRONIQUE DE CHRISTOPHE SEUNA

Du développement du droit de l’informatique

Science ou technique de traitement automatique de l’information, l’informatique est à l’honneur. Le Cameroun vient de se doter de la loi du 21 décembre 2010 sur la « cybersécurité » et la « cybercriminalité ». Ce texte nous dit quelles sont les infractions liées à l’informatique. Il indique comment les signatures électroniques peuvent servir de preuve. Il détermine aussi les obligations des fournisseurs d’accès.

Cette loi, à la vérité, est au nombre des textes par lesquels le droit encadre spécialement l’informatique au Cameroun. L’Accord de Bangui de 1999 interdit de délivrer un brevet d’invention pour les programmes d’ordinateur. Dans la loi du 19 décembre 2000 relative au droit d’auteur et aux droits voisins, une foule de dispositions ont trait aux logiciels, aux bases de données, à la diffusion des œuvres sur l’Internet, etc. La loi sur le dépôt légal affirme expressément s’appliquer aux programmes d’ordinateur.

Il est certain que l’informatique est à l’origine de nombreuses règles juridiques nouvelles qui organisent la vie de l’homme en faisant des réponses aux multiples problèmes que soulève l’informatisation de la société camerounaise : protection des droits fondamentaux (droit à l’honneur, droit à la vie privée, etc.), protection des biens informatiques (logiciels, bases ou banques de données, circuits intégrés, etc.), sécurité des transactions électroniques, etc.

Ces règles juridiques nouvelles ne sont pas contenues dans un texte unique. Encore que la loi du 21 décembre 2010 soit entièrement dédiée au phénomène informatique, elle ne renferme pas toutes ces réponses. Celles-ci sont formulées, éparpillées dans plusieurs textes. Là où tant de matières (assurance, publicité, travail, impôts, etc.), à elles seules, ont chacune nécessité tout un code ou toute une loi.

Mais que l’informatique soit la cause des réformes ne signifie pas qu’elle les a imposées. Le passage d’un fait informatique à une règle juridique n’a pas été automatique. Chaque norme nouvelle a été choisie en fonction de valeurs (ordre, justice, sécurité, etc.) qui ont permis de trancher entre plusieurs solutions possibles (monopoles ou libre utilisation, responsabilité ou irresponsabilité, etc.). Mon expérience de l’élaboration des textes relatifs aux phénomènes technologiques m’a permis de comprendre cette opposition entre le fait et le droit. Combien le mythe de l’adaptation du droit au fait est loin de la réalité.

Ceux qui cherchent la vérité dans les signes verront dans toutes ces réformes la preuve de l’existence d’un droit camerounais de l’informatique. Ils auront cependant tort de croire que cette lex informatica se réduit à ce qui a été spécialement légiféré. L’essentiel de ce droit est constitué de règles qui n’ont pas été élaborées pour les nouvelles technologies. Par leur caractère général, ces normes s’appliquent aux téléchargements, aux contrats informatiques, à l’assurance informatique, aux relations de travail informatique, au marché public informatique, à la marque de produits ou de services informatiques, etc.

Au Cameroun, règles générales et spéciales ont ainsi vocation à régir l’informatique, y compris l’internet. Elles se mêlent aux normes morales, religieuses et techniques pour donner de la mesure à la course affolée de l’informatique. Dans l’intérêt de l’homme ou de la société. Il faut s’en réjouir.

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