L’assistance, un devoir!

Le législateur camerounais a érigé en infraction cette attitude qui consiste à ne pas porter assistance à une personne  éprouvant ce besoin. Toutefois, l’intervenant doit s’assurer que son action n’est préjudiciable à soi-même et aux tiers. La juriste Adèle Nadège Mbelle Nkelle expose son commentaire à la lumière des articles 171 et 283 du code pénal.

L’altruisme qui régnait dans les sociétés jadis a très vite été remplacé aujourd’hui par toute sorte d’égoïsme et d’indifférence devant la souffrance d’autrui. La preuve en est qu’à  la découverte d’un cadavre dans une rue, il ressort généralement des témoignages du voisinage que des cris et des appels à l’aide provenant de cet endroit ont été émis plus tôt. L’hypothèse la plus probable étant qu’un  prompt secours ait manqué à la victime. Ce phénomène connait une recrudescence singulière avec la prolifération des réseaux sociaux. En effet, les scènes de détresse qui sont filmées se déroulent généralement devant une foule qui semble s’en délecter et dont le souci majeur serait d’avoir la primeur d’une image inédite à faire circuler. Indifférence ou ignorance ? Si l’imagerie populaire peut voir dans ces faits de simples manquements dont la seule conscience individuelle en est  juge, dans la réalité, ces agissements sont susceptibles d’entrainer des conséquences juridiques à l’encontre de ces ‘‘spectateurs’’.

En effet, dans la classification des infractions, une catégorie distingue les infractions de commission des infractions d’omission. Les premières nécessitent pour leur réalisation l’accomplissement des actes matériels alors que les secondes supposent l’abstention volontaire de leur auteur. Il faut toutefois rappeler que l’article 74 du Code Pénal Camerounais dispose en son alinéa 3 que « sauf lorsque la loi en dispose autrement, la conséquence même voulue d’une omission n’entraine pas la responsabilité pénale ». C’est dire que toutes les infractions d’omission doivent être prévues par la loi. A travers ces dispositions, le législateur pénal a entendu sanctionner certaines abstentions en ce qu’elles sont préjudiciables à autrui. Aussi a-t-il érigé en infraction cette attitude qui consiste à ne pas porter assistance à une personne éprouvant ce besoin.

Deux dispositions du Code Pénal Camerounais traitent de ces faits.

Tout d’abord l’article 171 qui dispose que : « Est puni d’un emprisonnement de un mois à trois ans et d’une amende de 20 000 à 1 million de francs ou de l’une de ces deux peines seulement celui qui pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, la commission de tout crime ou d’un délit contre l’intégrité corporelle d’une personne s’en abstient ».

Il ressort des dispositions de cet article que l’abstention doit avoir pour conséquence la commission d’un crime ou d’un délit contre l’intégrité corporelle d’une personne. En effet, le Code Pénal Camerounais consacre tout un chapitre (cf. livre II, titre III, chapitre premier) aux atteintes à l’intégrité corporelle. On y retrouve notamment le meurtre (article 275), l’assassinat (article 276), les blessures graves (article 277), les coups mortels (article 278), les coups avec blessures graves (article 279), les blessures simples (article 280), les blessures légères (article 281).

Toutefois, cet article précise que l’intervention requise ne doit comporter aucun risque ni pour l’intervenant, encore moins pour les tiers. C’est dire qu’avant de secourir autrui, il faut s’assurer que son action n’est pas préjudiciable à soi-même et aux tiers. Le calcul du risque doit s’effectuer dans un laps de temps très court dans la mesure où l’article précise également que l’intervention doit être immédiate. C’est ainsi que le voisin qui attend l’aube pour s’enquérir de l’état d’une personne ayant crié à l’aide dans la nuit se rend coupable de cette infraction. (TPI de Nkongsamba, jugement n° 47/ Cor du 14 Avril 2001 Affaire MP& Madeleine TAMO Isidore C/BALLACK Richard). Les juges tiennent comptes de toutes les circonstances ayant entouré le déroulement des faits.

Ensuite, l’article 283 du Code Pénal du Cameroun dispose que « Est puni d’un emprisonnement de un mois à trois ans et d’une amende de 20 000 à 1million de francs ou de l’une de ces deux peines seulement celui qui s’abstient de porter à une personne en péril de mort ou de blessures graves l’assistance que, sans risque pour lui ni pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours ». Cet article qui semble identique à l’article 171 précédemment cité regorge néanmoins une petite nuance qui marque la différence. En effet, les faits tels que décrits à l’article 171 sont commis par un autre protagoniste à l’exclusion de la victime et de la personne coupable d’abstention. Et pourtant dans l’article 283, le péril de mort ou de blessures graves n’est pas uniquement le résultat d’un crime ou d’un délit commis par un tiers. Il peut être la conséquence d’un acte volontaire de la victime elle-même et c’est le cas du suicide, tout comme il peut être le résultat d’un acte du prévenu. Il en est ainsi en matière d’accident de circulation. Aussi, dans une affaire où le conducteur du véhicule s’est enfui après un accident de la circulation en abandonnant la victime qu’il venait de percuter à sa souffrance, les juges ont retenu à la fois les infractions de blessures graves, délit de fuite et omission de porter secours. L’accusé a saisi la Cour d’Appel afin que soit retirée la condamnation pour omission de porter secours. En appel, sa demande a été rejetée motif pris de ce que les conclusions de l’expertise médicale indiquaient clairement que si la victime avait immédiatement été conduite dans un centre hospitalier pour l’administration des soins, elle n’aurait pas eu la jambe amputée. (CA de l’Ouest, Arrêt n° 42/Crim du 17 Octobre 2005, Affaire WATAT Claude C/ MURUNDI Dominique). 

L’article 283 précise en outre que la personne dont le secours est requis peut aussi bien provoquer l’aide. C’est dire que lorsqu’on ne peut pas agir directement par soit même, on doit chercher l’assistance nécessaire en vue d’éliminer le péril. (Cf. Affaire MP& Madeleine TAMO Isidore C/BALLACK Richard précitée). Dans cette affaire, le prévenu a plaidé non coupable motif pris de ce que son handicap physique ne lui permettait pas de faire face aux brigands armés qui agressaient son voisin d’immeuble. Il a néanmoins été condamné à une peine de prison de 3 mois pour omission de porter secours suite à la plainte déposée par l’épouse de la victime après son décès. En effet, les juges ont estimé que le prévenu ayant eu connaissance de l’agression, aurait dû à défaut d’apporter directement son aide personnelle, appeler la police ou toute autre personne capable de secourir valablement la victime.

Il n’est pas non plus nécessaire que l’intervenant soit un professionnel des règles de premier secours. C’est ce qui a été décidé dans une affaire de noyade d’enfant dans laquelle le juge a changé la qualification de meurtre en omission de porter secours  avant de condamner le prévenu à 06 mois de prison ferme, et ce  malgré les arguments du prévenu qui soutenait qu’il ne pouvait pas venir en aide au mineur de 10 ans emporté par les vagues sans mettre en danger sa propre vie, dans la mesure où il n’était pas nageur professionnel. Le juge a estimé que cet argument ne pouvait prospérer d’une part parce que l’aspect physique du prévenu (1mètre 85 pour 95 kilogrammes) lui permettait au regard de la profondeur de l’eau à cet endroit de sauver l’enfant sans avoir besoin de procéder par la nage. D’autre part, n’étant pas nageur professionnel, il aurait pu aller chercher de l’aide. (TPI de Kribi Jugement n° 38/Cor du 20 mars 1999, Aff. MP & MUANGO Stanislas C/ KABARI Dagobert.)

En tout état de cause, la prévention de l’article 283 est plus générale que celle de l’article 171. C’est sans doute ce qui justifie la propension des juges à préférer la qualification d’omission de porter secours. Il faut néanmoins noter que ces deux articles prévoient les mêmes peines. La preuve de ces infractions est en majorité constituée des témoignages. Le témoignage de la victime ayant survécue est capitale. Dans une affaire, le juge a relaxé le prévenu au bénéfice du doute pour insuffisance de preuve car sa présence sur la scène de crime au moment de l’agression et dans le laps de temps ayant suivi les faits n’a pas été suffisamment établie. (TPI de Bafoussam Jugement n°03 du 13 Janvier 2003, Affaire Veuve SOKONDJA C/ Idris BANGWEP).

Enfin, c’est sans doute dans le souci de maintenir l’élan de solidarité qui doit exister dans les rapports humains que le législateur a entendu réprimer ces comportements tendant à laisser mourir autrui. Les bloggeurs et autres internautes, auteurs des vidéo et post à sensations fortes à publier sur les réseaux sociaux gagneraient à s’informer, car nul n’est sensé ignorer la loi. A coté de cette catégorie, il existe d’autres personnes dont le comportement résulte plutôt d’une certaine méfiance. En effet, dans une société en proie à toute sorte de perversité, où des individus mal intentionnés simulent des scènes de détresse, dans le but de tendre des embuscades aux infortunés  qui viendraient à leur secours, comment ne pas comprendre cette méfiance. Toujours est-il que la bonne foi du présumé coupable est prise en compte lors du jugement.

Nadège M. N.

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